Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sardou plutôt encore qu’à celle de Dumas ou d’Augier, voici maintenant, dans la Maison d’argile, un aspect de la question du divorce traité en tragédie bourgeoise. Ce genre de la « tragédie bourgeoise » nous est d’autant mieux connu, que nous en avons pour spécimens deux pièces qui sont des œuvres achevées : les Corbeaux d’Henry Becque, et la Course du flambeau de M. Paul Hervieu. Il n’en est guère qui fasse plus d’honneur au répertoire contemporain et dont on puisse plus justement dire qu’il est dans l’histoire du théâtre une nouveauté et une acquisition. Il est tout particulièrement destiné à faire passer en nous les affres de l’embarras d’argent. C’est le « frisson » qui lui est spécial. Il a pour sujet préféré : « la Famille et l’Argent. » Quand la ruine est aux portes, que se passe-t-il dans l’intérieur de la maison ? Comment agonise une famille acculée à la misère, ainsi que la famille Vigneron dans les Corbeaux ? Quand elles sont hantées par le spectre de la faillite, que se passe-t-il dans les âmes ? Nous assistons, dans la Course du flambeau à la déroute de tous les sentimens qu’on croyait naturels, comme la charité d’une grand’mère pour ses petits-enfans, l’amour d’une fille pour sa mère, et l’honnêteté même, la vulgaire honnêteté, qui nous défend de voler dans un secrétaire et de falsifier une signature. Le genre est, nécessairement, âpre et dur : une éclaircie de gaieté y causerait une surprise, une détente, une poussée de sensibilité étonnerait. Ni grands gestes, ni grands cris. Le drame est ici celui d’une progression impitoyable, d’une descente lente et sûre dans l’horrible… Avec des pièces conçues dans ce système, on est bien sûr de ne pas attirer la foule. N’oublions jamais que la foule vient au théâtre pour s’amuser ! Elle aime à être divertie, arrachée à elle-même, secouée par le souffle des grandes douleurs romanesques ; elle supporte mal le spectacle des misères qui assombrissent la vie quotidienne. Aussi, d’ordinaire, ces pièces sont-elles limitées à un petit nombre de représentations ; mais ce sont les pièces des connaisseurs.

M. Emile Fabre était très digne de s’y essayer. C’est un des nouveaux écrivains les mieux doués pour le théâtre. Il aime à démonter le mécanisme, à mettre à nu l’armature de notre société. Après la Vie publique et les Ventres dorés, qui étaient surtout intéressantes comme des tours de force et où l’écrivain faisait un appel parfois indiscret à la mise en scène, il devait être désireux d’aborder une forme d’art qui exige plus de pénétration morale et plus de véritable fermeté dans l’exécution. Si même il n’y a pas complètement réussi, sa tentative reste honorable. En l’analysant, nous aurons