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exilés de la terre promise. Quand tomba la barrière du mariage indissoluble, ils ne doutèrent pas qu’elle n’eût cédé sous leur poussée victorieuse. Et ils en conçurent beaucoup d’estime pour eux-mêmes, avec une haute idée de leur importance sociale.

Seulement ils ne laissèrent pas d’être embarrassés de leur victoire. Car c’est très joli, quand on est auteur dramatique, de faire des lois ; mais il faut aussi faire des pièces. On ne les fait pas comme on veut. On est obligé de tenir compte d’un tas de conditions, d’observer les usages, de respecter les habitudes du public. Les changemens au théâtre ne s’opèrent qu’avec une sage lenteur. C’est là qu’on ne touche pas aux « situations acquises. » Or une situation, depuis vingt ans, était réputée dramatique entre toutes : celle de la victime, — tantôt masculine et tantôt féminine, — que mettait à la torture l’étroitesse du bien conjugal : cette situation, d’une fécondité jamais épuisée, commandait l’intrigue, les développemens, le dialogue. Pouvait-on, de gaîté de cœur, en laisser perdre les ressources inestimables, le pathétique spécial et les effets sûrs ? On tenta de les conserver. La loi avait changé ; les pièces restèrent sensiblement pareilles. On protesta de plus belle contre la tyrannie législative : ce n’était pas assez d’avoir le divorce, on le voulait plus aisé, et ne dépendant que de la volonté d’un seul. Les premières pièces de M. Paul Hervieu, d’une facture d’ailleurs si originale et d’un dessin si net, les Tenailles et la Loi de l’Homme, portent témoignage pour cette période de transition, où le théâtre, ayant obtenu ce qu’il demandait, continuait, par habitude, à le réclamer.

Toutefois, devant l’empressement que mettaient tant de conjoints libérés à profiter de leur liberté reconquise, il devenait de plus en plus difficile de se plaindre du trop petit nombre des divorces. Les moralistes de la scène durent chercher un thème qui fût en moins flagrant désaccord avec la réalité. Peu à peu ils firent leur conversion. A mesure que le divorce entrait dans les mœurs, le théâtre se retournait contre lui. Il ne voulait plus en voir que les inconvéniens, les injustices, les cruautés. Bref il recommençait la campagne de jadis, mais en sens inverse.

Y a-t-il une conclusion à tirer de cette volte-face ? Est-ce un succès à enregistrer pour la morale traditionnelle et la conception religieuse du mariage ? Peut-on prétendre que les écrivains de théâtre, instruits par la leçon de l’expérience, aient compris la supériorité du mariage à l’ancienne mode et que, bravement, ils répudient une attitude dont ils se repentent ? Va-t-on déclarer que la comédie reflète avec