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régissent actuellement le mariage dans la seule intention d’amoindrir l’autorité des parens, d’agrandir l’indépendance des enfans et de faciliter encore à la fois l’union de deux jeunes gens et leur divorce. Comment fixer où s’arrêtent les droits de l’individu, si on les déclare supérieurs à tous autres ? et n’arrivera-t-il pas que, l’individu confondant ses droits avec ses désirs et ses appétits, dès lors toute institution, aussi bien publique que familiale, ne lui paraîtra plus qu’un obstacle à renverser ?

Mais ce ne sont pas seulement les théories de l’individualisme qui ébranlent la famille : dans le peuple, la vie même, à laquelle sont astreints l’homme et la femme, rend la famille souvent presque impossible. Tout d’abord, la maladie est plus fréquente et plus redoutable dans le peuple, parce que l’existence se déroule dans des conditions rarement hygiéniques : les enfans sont les premières victimes. Ensuite, le mari passant la journée au magasin, à l’atelier, à l’usine, ou au chantier ; la femme travaillant de son côté quelque part, chez le même patron parfois que son mari, les enfans sont laissés à la garde d’une voisine complaisante ou indifférente, et, s’il n’y a pas de voisine, la rue avec tous ses dangers, dangers moraux et dangers physiques, est le lieu où ils traînent. Le soir, quand rentrent le mari et la femme, la fatigue les endort vite : ils s’inquiètent peu de leurs enfans. Ainsi le logement, mal entretenu, n’offre rien qui y retienne : il n’est que l’abri où l’on vient dormir ; les enfans, qui poussent au hasard, peu ou point lavés, haillonneux, sales, morveux, connaissent à peine leurs parens. Il y a ici un mari, une femme, des enfans, il n’y a pas d’intérieur, pas de foyer, pas de famille. Il n’y en a pas davantage souvent, même si le père est seul à travailler. La mère, en effet, trouve toujours à s’employer quelques heures, au dehors, afin d’augmenter les ressources : elle fait des ménages, par exemple, ou lave pour les autres ;… elle est beaucoup absente de son « chez elle, » elle y rentre vers midi et vers sept heures, pour préparer les repas. Et ces repas sont rapidement, trop rapidement, trop mal préparés… Sa cuisine sommaire est détestable. Elle n’a pas le temps non plus d’arranger son intérieur, ni de s’occuper de ses enfans. Un coup de balai par-ci, un coup de balai par-là : et voilà le logement nettoyé ; une taloche par-ci, une taloche par-là, et voilà ses mioches élevés. Le mari prend bientôt le dégoût du logement, de la cuisine, des enfans et se sauve au cabaret, où