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fibres de bois ou de parois de calebasses, la musique malgache est naturellement mate et sourde, chaque note pour ainsi dire s’étouffe sous une pédale qui la maintient très basse ; en outre, jouée par des hommes assis, elle a quelque chose de recroquevillé qui se replie sur soi, elle ne s’élance pas en hauteur, elle ne se propage pas en largeur, elle tourne sans cesse sur elle-même, elle enveloppe le joueur comme le bourdonnement des abeilles enveloppe la ruche, comme la fumée enveloppe le foyer.

Cependant, très sociable, le Malgache n’aime pas la musique solitaire. Il chérit au contraire cet art parce qu’il rapproche merveilleusement les êtres en établissant entre eux un improvisé, un insaisissable, mais pressant langage d’amitié, en répandant comme une atmosphère de charme où les âmes communiquent sans effort, se donnent l’une à l’autre sans défiance. « Des célèbres chanteurs et artistes musiciens, — annonce une affiche populaire que nous avons copiée à Tananarive, — sont prêts à faire de doux et mélodieux airs de rêverie et à entonner des chants vibrans sous l’influence desquels rien qu’en se regardant on peut causer et se comprendre par la pensée. » Naturellement la musique parvint à ses formes les plus sociales, le chœur et l’orchestre. Rien n’attire plus le Malgache que les concerts. Cédant peut-être à quelque goût ancestral polynésien, les Hovas ont, à Tananarive, construit une île dans le lac Anosy, où ils se réunissent à la seule fin d’en entendre : ils y goûtent l’agrément délicat de chanter sous les arbres voûtés, d’être groupés en foule de lambas clairs sur un îlot isolé au milieu des eaux planes d’un lac où les reflets du ciel nuancé accordent leurs pâleurs :


Hélas ! Regardez un peu : — Est-ce que vous voyez ceux qui s’appellent — à Anosy entourée des eaux, — décorée par des arbres ombrageant le cœur qui peut soupirer ? — A qui est donc cette voix ressemblant à la voix des oiseaux, surprenant le cœur des amoureux au pied de cet arbre ?


Sédentaire, le Malgache voue à la musique une reconnaissante admiration de ce qu’elle berce la paresse, et, pour employer le mot vague par lequel cette race crédule aux sorciers se définit à elle même de façon précise son pouvoir, elle « charme » : « On entendra, — dit une autre affiche, — de belles poésies pour les jeunes gens, des morceaux choisis pour attirer les paresseux, on entendra également des instrumens pour charmer les oreilles et des chansons pour charmer les amans. » Elle évente doucement l’âme