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d’indiquer ce qu’elle croit être la vérité. Elle aime mieux faire dire par la nature à l’homme ce que lui-même n’ose déclarer directement à son prochain : rouerie de peuples qui se plaisent à rire et qui, asservis et perfides, se méfient de la vengeance. Entre les danses, après les chansons, nous avons vu dans les fêtes un jeune homme aux belles épaules, dignement drapé dans un lamba, s’avancer au milieu des groupes. La tête haute, souple à se retourner à droite et à gauche, il étourdit l’assistance par une vertigineuse harangue qu’il scande de gestes diserts et fanfarons et dont des violons cachés soulignent certaines phrases plus hautement accentuées. La prolixité du diseur, sa volubilité, la verve de ses attitudes théâtrales, réjouissent la foule : caricature musicale que le Hova fait lui-même de son éloquence[1] facile, de sa puérilité à se griser du charme sonore et langoureux des mots, de la résonance du raisonnement humain.

Leur goût du babillage et de la fainéantise prélassée, de la légèreté et du vague, de ce qui est suspendu et de ce qui flotte, la versatilité de leur âme et leur indécision trouvent la jouissance suprême dans la musique qui enveloppe tous les plaisirs malgaches. Le Tanala tire de sa flûte de bambou un glougloutement doux, d’une modulation très finement déchirante. Le Sakalave appuie contre sa poitrine la calebasse creuse de sa lokanga, y fait trembler les cordes qui relient les deux extrémités d’une tige arquée et s’engourdit dans une évaporation de sons lents et gris. Assis dans son lamba blanc, sous le grand chapeau de paille jaunie à la fumée, les moustaches tombantes à la mongole, le Merina égratigne de l’ongle les cordes de bois surélevées le long du calumet de bambou de la valiha et les paupières baissées, égrène des harmonies perlées et sautillantes. Trop légères sont les notes : elles oppressent le cœur par leur inconsistante fugacité ; trop lent, le débit des sons trop menus : il vous endort bientôt dans une mélancolie dissolvante semblable à celle qu’on éprouve à voir s’écouler le sable d’une clepsydre… une tristesse du temps. « Les plus indifférens, a écrit M. Carol, se laissent prendre au charme de cette musique ineffablement triste qui se lamente sur le mode mineur… » Résonance de

  1. Par cela même qu’il se sait très habile orateur, le Malgache se méfie excessivement de la parole. « Les paroles ressemblent à la toile d’araignée qui, bien arrangée, constitue une demeure, et qui, mal faite, est un véritable piège. » « Être victime de sa langue comme l’anguille » (qui mord l’hameçon).