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malgache est grêle et aigrelette : elle est dénuée des notes profondes qui montent de la poitrine ; tirée avec effort du fond du gosier, elle devient argentine aux narines, s’amenuise aux dents fines ; c’est une voix, pour ainsi dire, de derrière la tête, qui, mince à se briser sans jamais défaillir, donne l’impression de venir de très loin, flûtée dans l’éloignement, perdue, désolée dans l’espace et timbrée de nostalgie. Aussi bien ce qui fait aimer le chant au Malgache, c’est qu’il lui donne l’exquis et long frisson de son insignifiance terrestre. En chantant, il aime à faire pitié, au monde et à lui-même, à implorer une vague et sublime protection sur son infirmité. Par le chant, il se rabougrit et se cache, il devient une petite, très petite chose :


Je suis une fourmi enlevée sur le fagot,
Le soir vient, elle est là sur l’âtre des hommes.
Elle se distrait toute seule, elle n’a personne avec qui causer,
Pas d’ami avec qui bavarder.
Je suis un brin d’herbe sur le plateau,
Tout seul là-haut dans le brouillard :
Sans voisin contre qui s’appuyer :
Un enfant qui passe l’emporte entre ses dents.


Ce qui, outre le rythme et la câlinerie des mots, donne à la poésie madécasse une très savoureuse originalité enfantine, c’est l’abondance d’images ingénieuses et fraîches. Ainsi que l’a remarqué M. Gautier plus particulièrement des Sakalaves, « ils ont gardé de toutes les formes de civilisations que les différentes immigrations leur ont fait traverser… les images de tout, des formules poétiques. » Il en résulte une incomparable luxuriance : si dans les catalogues qu’ont dressés les grammairiens nous en relevons qui se rattachent à l’imagination malaise, — ciel : toit de Dieu ; voie lactée : liane céleste ; soleil : œil du jour ; trombe : la queue du ciel ; nouer des relations : tresser l’entente ; doigts : les rameaux de la main ; faire des châteaux en Espagne : compter les feuilles des arbres ; — d’autres trahissent l’inspiration arabe : arc-en-ciel : cimeterre de Dieu ; prunelle : prince de l’œil ; canines : princesses des dents ; canif : lieutenant du couteau ; — beaucoup sont d’ancestration indienne : enfant chéri : graisse de ma vie ; colline : enfant de montagne ; fiancée : qui sent l’époux. Enfin un grand nombre s’apparentent au génie réaliste et malicieux des races africaines venues du sud du continent ; et l’observation des animaux dans le folk-lore malgache rappelle sournoisement