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forte que les circonstances, presque démente, consacre le plaisir que les hommes éprouvent à se sentir soudain les uns près des autres sur la terre où ils ont le frisson frileux d’être égarés les uns loin des autres. Une fois réunis, ils ont tant de peine à se séparer que les réjouissances durent parfois plus d’une semaine. Dans l’enveloppement des fêtes se rythment les jeux significatifs des énergies des races : les Baras, guerriers des déserts épineux du Sud, scandent des danses militaires au claquement des sagaies frappées au bouclier. Souples grimpeurs des bois, les Tanalas se défient à des exercices d’adresse dans des combats simulés où le village se divise en deux camps. Chez les Sakalaves, le délire des foules ne peut qu’exaspérer leur plus puissant instinct, celui de la bataille, et ils mesurent leur arrogante vaillance en des pugilats, morengy, autour desquels un public passionné compte les coups de poing sonores avec des exclamations. Habiles voleurs de taureaux dans les plaines, ils excitent jusqu’à la fureur, poursuivent, provoquent le bœuf gras qu’on immole dans toute assemblée sur la terre rouge des Ancêtres.

Mais l’attraction la plus générale, le plaisir où Belsimisarakas, Sakalaves, Bezanozanos, Betsileos, Antaimoros, Hovas, aiment à se trouver une âme commune, est la pacifique danse. Elle semble avoir dû être au début le privilège esthétique des femmes, car chez les Tanalas, race turbulente, encore sauvage, seules elles ont le droit d’accomplir leur danse langoureuse : une gracieuse oscillation du corps et des bras la balance, puis elle palpite à la façon d’un vol de papangue royal par les saccades convulsives des mains étendues, à la fois lâches et poignantes. Chez les Betsileos aussi, seules, les femmes sont déléguées à exécuter, parées de bijoux d’argent, la salamanga, danse mystique qui sollicite des esprits fiévreux de la saison des pluies la guérisoii des affections. Chez les Sakalaves, les hommes dansent, mais en ne se mêlant jamais aux femmes : si, dans une sorte de quadrille, il arrive qu’ils leur font vis-à-vis, ils ne doivent pas les toucher et ils ne peuvent se relier à elles que par un mouchoir. La danse malgache diffère de la bamboula africaine, contorsionnée, sensuelle et obscène, en ce qu’elle demeure très décente. Aussi bien représente-t-elle un plaisir d’art supérieur. Comme les pantomimes cambodgiennes et javanaises, elle est avant tout sculpturale, elle est une sculpture qui s’anime. La femme n’entraîne pas en ses évolutions, ainsi que dans les valses