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l’amour. — Je n’ai pas honte de l’appeler, répond l’amante solitaire. — Chaque jour, j’ai le cœur malade… Hélas ! Ramanjeny, — Ramanjeny est là-bas — Et l’amour est dans ma poitrine, — Il est fort comme la mort. — Mon amitié pour mon ami, mon amour ne me quitte pas… C’est un amour solide, Manjeny. — Il ne veut pas partir, Manjeny ; il est comme le plumage du poulet ; on ne s’en sépare qu’à la mort.


Quelque incapable de constance qu’il se soit cru, l’homme est arrivé à éprouver la beauté de l’attachement :


Je suis satisfait, car ce que j’ai planté a réussi, — et puisque j’ai trouvé celle que j’ai cherchée ; — Je ne resterai plus ici, puisque ma bien-aimée est déjà partie. — O ma chérie, deux amours réunis font un grand bonheur. — Notre amour est inséparable, malheur à qui le séparera !


Le Malgache, qui a peur de la solitude, ressent, aussitôt éloigné de son pays et des êtres chers, une satisfaction mélancolique d’enfant à se croire perdu et à se lamenter sur son abandon. A peine séparé de l’amie, son amour chantonne plaintivement, puis s’affole : « Si je ne vois pas sa pommette, je soupire. — Où est donc ma chérie ? si je ne pouvais la voir, je perdrais la tête. » Il ne voit dans la mort que la suprême séparation des amans. « La richesse, l’or, l’argent blanc, dit l’amant à l’amie, moi, je n’aime pas ça ; c’est vous que j’aime. » Le plus original n’est point qu’il le dise, mais qu’il soit sincère : l’amour absorbe sa vie, ses forces, à le laisser dédaigneux du reste.

Le Malgache n’y goûte point seulement le plaisir et sa routine ; il a le sentiment de la beauté et la conscience qu’elle est un don inappréciable. Une légende conte l’aventure d’un petit sauvage de la forêt qui, souffrant d’être disgracié, met le feu à un arbre, boucane les narines de Dieu jusqu’à ce qu’il lui accorde la beauté. En artiste, l’amant sait apprécier la couleur des yeux et du visage aimé, leur étrange harmonie : « Hé ! hé ! qu’il me tarde de voir ta joue rougeâtre et tes yeux bleus ! » — l’originalité de la coiffure en tresses, la fraîcheur des dents blanches, la souplesse de la taille : « elle est une liane qui serpente sur un arbre ; » la richesse élancée des formes : « elle est un jeune lilas touffu et d’aplomb ; » le parfum de la chair : « Comme la fleur qui s’appelle dahlia, ainsi sent bon votre figure. — Une fleur de rose, ainsi votre main. — Donne-la-moi pour que je t’embrasse. » Une poésie tanala analyse l’art avec lequel le Malgache peut jouir, en ses détails les plus subtils, de la grâce féminine.