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sociable et bavard, l’homme apprécie dans le commerce de la femme ce qu’il comporte de galanterie, disons même de marivaudage, un attrait de société. La femme n’est pas l’amante, mais « la sœur » choisie : éloigné d’elle, il la regrette, sans grand élan de passion, avec une mélancolie dolente, le même apitoiement que s’il regrettait sa famille. Comme celle d’un ami, la présence de la femme encourage l’homme au travail : elle absente, il retombe à la paresse : « Ma pirogue est perdue, la sagaie est perdue, je ne sors pas, j’attends ma chère amie. » Aussi bien est-ce parce que l’amour n’est pour lui que de l’amitié, qu’il peut aimer plusieurs femmes en même temps : la polygamie donne au Malgache le plaisir d’entrelacer ses affections comme dans un travail de tressage et de sentir son désir, son caprice balancer musicalement de l’une à l’autre comme dans une danse :


Oalavelo et moi — Lorsque nous étions dans le Nord — Nous avons mangé avec la même cuillère. Nous nous sommes assis sur la même natte. — Nous avons marché l’un à côté de l’autre. — Quoique nous trouvant côte à côte, — Nos pensées étaient différentes. — Je désire être l’amant — Des deux amies. — Si l’aînée part — La cadette me consolera. — L’aînée est sans défaut. — La cadette est attrayante. — Ma belle et moi, — Nous ressemblons aux lianes qui enlacent fortement le nonoka — Et qui ne s’en détachent que si elles sont coupées. — Réveillez-moi quoique je dorme. — Cherchez-moi quoique je sois enfermé. — L’ainée est comme de l’eau qui pénètre à travers les rochers. — La cadette est comme de l’eau qui passe dans la forêt. — L’eau qui pénètre à travers les roches emporte du sable ; — L’eau qui passe dans la forêt emporte des feuilles. — Buvez-les car elles sont toutes deux fraîches. — Ne marchez pas trop vite si vous êtes deux à faire la route. — Marchez vite si vous êtes seul.


Rarement passion, l’amour reste le plus souvent pour le Malgache un amusement voluptueux. Cependant il en sait reconnaître, non sans un certain effroi admiratif, la souveraine force d’emprise : « Les amours qui ont pris racine, dit un proverbe, sont difficiles à arracher. » Une poésie merina qui prélude par cet axiome : « L’amour est comme le riz : où qu’on le sème, il pousse, » berce la légende d’un Roméo et d’une Juliette madécasses s’aimant contre la volonté des parens et prêts à se jeter dans les eaux bleues du lac Itasy :


Celle que j’aime est l’Unique, chante l’amant passionné — La seule qu’on n’abandonne pas. — Il n’est pas deux femmes aimées, — Pas plus qu’il n’en est trois. — Celle qu’on aime est toute seule. — Pour elle seule est tout