Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont les fragmens ne peuvent plus être réunis ; mais au contraire, faites-la semblable aux fils de soie, qu’il est si facile de renforcer même quand ils menacent de se rompre. » Vis-à-vis l’un de l’autre, les Malgaches seraient plutôt portés à garder une indifférence soupçonneuse. C’est contre cette défiance profonde que les ancêtres voulurent réagir par l’institution rituelle des frères de sang qui sanctionne tout pacte d’amitié d’une sorte de caractère sacré. Et l’on témoigne à l’amitié un respect superstitieux : détruire une toile d’araignée, lien entre deux murs, deux maisons, c’est risquer de perdre la concorde avec ses voisins. Pacifique et musicien, le Malgache sait goûter dans l’amitié l’harmonie, l’accord, pour ainsi dire, choral. « Salut à vous tous, chers amis, — module un chant de fête : — il serait bon de nous réjouir en chœur, surtout de marcher ensemble. Donc, chers amis, marchez devant ! » Fréquemment avons-nous vu les hommes s’avancer sur les routes en se tenant par le petit doigt de la main, signe d’un enchaînement léger mais fidèle. L’amitié met de l’ordre, de la mesure dans la vie, en fait un orchestre de gestes, de mouvemens : il y a des villages betsimisares où les hommes sont si unis entre eux qu’ils partent ensemble au travail, rentrent du repos à la même heure, entreprennent en même temps des voyages, laissant dans les cases les femmes, les enfans et les vieillards. Et l’on sait la solidarité des Antaimoros, systématique jusqu’à l’entêtement.

Plus encore dans l’amour le Malgache garde une extrême défiance, qui vient également de sa croyance, en quelque sorte instinctive, en l’instabilité des choses et l’inconstance des désirs. Pour lui, l’homme est un pauvre enfant faible qui a toujours besoin d’être enveloppé de la protection de ses ancêtres, de l’affection de ses parens, des dorlotemens de la femme. Dans son scepticisme élégiaque, il juge l’homme trop débile pour posséder la faculté de conserver longtemps le même sentiment. De cette incertitude de soi-même, d’une façon câline, l’amant fait l’aveu : « Je ne sais pas, ma chérie. Aujourd’hui, je vous aime bien. — Demain j’aime bien ma famille. Bonsoir. » Il trouve même un charme plus délicat à l’amour, sachant le cœur si fragile : il le limite ainsi à une amitié caressante qui entretient en l’homme un besoin de tendresse mélodieuse, fait flotter dans son âme une musique légère et insaisissable. De la sorte, par goût de la douceur, il s’initie à la discrétion, à la pudeur même. Très