Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé par l’abbaye de Pothières ou par celle de Vézelay et y a recueilli quelques renseignemens. Seulement, préoccupé peut-être d’une intention polémique, qui est de remontrer à M. A. Longnon combien l’hypothèse des cantilènes carolingiennes est inutile et invraisemblable, M. P. Meyer, après cette démonstration purement négative, s’arrête, satisfait une fois qu’il a substitué à cette hypothèse l’opinion, seule juste en effet, que la légende de Girard de Roussillon procède d’une tradition monastique.

Mais qu’entend-il par ces mots « tradition monastique ? » Rien que de très pauvre. Les moines conservaient les noms de Girard et de Berte et le souvenir de leurs fondations pieuses ; un poète qui passait recueillit ces deux noms et inventa à leur propos une belle histoire. Mais pourquoi ce poète avait-il passé par là ? Par quelle singularité ces deux noms qu’il entend lui inspirent-ils une belle histoire ? Pourquoi l’histoire qu’il nous raconte plutôt qu’une autre ? Ces questions ne sont pas posées. Qui était ce poète ? Un Bourguignon « probablement, » mais ce n’est pas nécessaire. C’était un touriste quelconque, Bourguignon, si l’on veut, qui, heureux de tenir ces deux noms, met un roman autour. Il le tire de son imagination, sauf quelques élémens, tels noms de personnages qu’il a pu trouver dans sa mémoire, tels récits de batailles qu’il peut avoir pris, en diverses régions, à des traditions locales. Ce roman était à l’origine tout héroïque ; plus tard, « un moine de Pothières eut l’idée de transformer en saint un héros épique, plein de belles qualités assurément, mais ayant aussi, même au point de vue indulgent du moyen âge, d’assez graves défauts… Le pieux hagiographe ne se sera pas fait faute de supprimer tout ce qui, dans la vieille chanson de geste, s’éloignait trop de son idéal[1]. » Et c’est ainsi que « Girard de Roussillon nous fournit un curieux exemple de l’influence de la littérature vulgaire sur la composition des Vies de saints[2]. »

Faut-il de toute nécessité s’en tenir à cette théorie de l’accident ? C’est ce que je rechercherai maintenant.


JOSEPH BEDIER.

  1. P. Meyer, Girart de Roussillon, p. XXVI
  2. P. Meyer, Romania, t. VII, p. 235.