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III

Les moines de Pothières avaient composé, pour la gloire et le profit de leur abbaye, un écrit intitulé : Vita nobilissimi comitis Girardi de Rossellon. M. P. Meyer, qui l’a publié au tome VII de la Romania[1], a montré (il suffit de rappeler en quelques mots ses conclusions) que l’auteur de ce récit hagiographique disposait de quelques traditions locales recueillies dans le monastère ou aux environs, qu’il a utilisé en outre la charte de fondation des abbayes de Pothières et de Vézelay ; mais, surtout, il est certain « qu’il a tiré d’une chanson de geste tout le corps de son récit. »

Cette chanson de geste qu’il exploitait n’est pas celle que nous connaissons, mais un roman plus ancien. La Vita Girardi a été composée un peu plus tard que le croit M. P. Meyer ; elle n’a pu être écrite avant le XIIe siècle[2] ; mais elle est en tout

  1. Sur les manuscrits de la Vita, voyez les articles de M. P. Meyer dans la Romania, t. VII, p. 161 et t. XVI, p. 103. Nous avons conservé de la Vita une traduction « en prose française ou plutôt bourguignonne, » du XIIIe siècle, que M. P. Meyer a imprimée, d’après le manuscrit unique, en regard du texte latin.
  2. M. P. Meyer a cru pouvoir déterminer la date de la Vita par la remarque que voici. Au dernier chapitre de son œuvre, le moine rapporte un miracle qui s’est produit à Pothières, l’histoire d’une paralytique guérie par l’intercession de la comtesse Berte ; avant de le raconter, il dit : Quod ipsi nostris oculis vidimus, lacère nullo modo volumus, et il ajoute que ce miracle eut lieu sous le pontificat d’Alexandre II (1061-1073). « La date du miracle, écrit M. P. Meyer, est donc 1073 au plus tard, et par suite on peut affirmer que l’écrit où ce miracle est raconté par un témoin oculaire, ou se prétendant tel, ne peut être plus récent que les dernières années du XIe siècle ou les premières années du XIIe. » Ailleurs, précisant davantage (Girart de Roussillon, p. XXVI), il dit que la Vita a été écrite, « selon toute apparence, à la fin du Xe siècle. » — Par malheur, le récit du miracle est précédé de ces mots, qui servent de titre au chapitre : Istud Berte miraculum inveni hoc modo scriptum. Donc, ce n’est plus l’auteur de la Vita qui raconte le miracle : il se borne (qu’il dise vrai ou non, peu importe) à transcrire, tel qu’il l’a trouvé, l’écrit d’un autre. C’est cet autre qui est ou se prétend le témoin oculaire, et c’est l’écrit de cet autre qui se place entre les dates marquées par M. P. Meyer. — Il faut recourir pour la Vita à un autre mode de datation, indiqué déjà par cet Aimé Chérest (Congrès scientifique de France, 25e session, t. II, 1850, p. 334) qui est l’un des érudits qui ont le plus fait pour éclairer l’histoire et la légende de Girard. Au § 78, l’auteur de la Vita, énumérant les fondations pieuses de son héros, dit : In suburbio Autissiodorensis urbis construxerat unum (coenobium]… quod modo quidem canonicorum est, et dicitur ad sanctum Petrum. Or, remarque Chérest, « Saint-Pierre d’Auxerre cessa d’être dans les faubourgs au milieu du XIIe siècle, où le comte Guillaume de Nevers agrandit l’enceinte d’Auxerre ; de plus, l’auteur dit que l’abbaye était récemment occupée par des chanoines, ce qui eut lieu au XIe siècle. » — Vérification faite (Gallia christiana, t. XII, p. 435 et p. 288), c’est en l’année 1100 que l’évêque Humbaut accomplit la réforme qui introduisit à Saint-Pierre d’Auxerre des chanoines réguliers. La Vita comitis Girardi est donc postérieure à l’an 1100.