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le poète appelle à l’ordinaire Charles tout court, dix fois Charles Martel, mais une fois (§ 636) Charles le Chauve ; — sa femme s’appelait Berte ; — il est le fondateur de l’abbaye de Vézelay. Or, le Girard historique fut, en quelques occasions, un adversaire de Charles le Chauve ; — sa femme s’appelait Berte ; — il fut le fondateur de l’abbaye de Vézelay. Ces trois traits, déjà reconnus par les érudits du XVIe et du XVIIe siècle, forment tout le tableau des concordances certaines entre la biographie historique de Girard et sa biographie légendaire.

Voici maintenant le tableau des différences certaines. La légende raconte vingt ans et plus de guerres acharnées entre Charles et Girard ; l’histoire ne nous montre pas un seul champ de bataille où Charles et Girard se soient rencontrés l’épée à la main. Sans doute pendant quinze ans, de 855 à 870, Charles le Chauve a guetté le royaume de Provence et Girard a dû se tenir en garde contre lui[1] ; mais il s’agit de « luttes occultes » et diplomatiques, hormis en deux circonstances : en 860, peut-être, quand le roi s’avance à la tête d’une armée jusqu’à Mâcon ; mais il ne semble pas que Girard ait alors pris part à des opérations de guerre contre lui et sa correspondance avec Hincmar indique plutôt le contraire ; quant à son différend personnel avec le roi au sujet de Pothières et de Vézelay, il se peut qu’il se soit réglé par un simple échange d’explications par lettres. Dix ans plus tard, en 870, quand le roi va mettre le siège devant Vienne, c’est bien Girard qu’il a pour adversaire[2] ; par malheur, le poème de Girard de Roussillon ne conduit jamais à Vienne ni le roi ni Girard ; et d’ailleurs, Girard, en 870, retiré dans un autre château, n’a point défendu sa ville de Vienne. En sorte, comme le dit excellemment M. P. Meyer[3], qu’ « on ne trouve rien dans nos annales qui rappelle la bataille de Valbeton, l’exil de Girard, la fuite de Charles jusque sous Paris. Ce que l’histoire authentique nous enseigne est bien différent. Elle nous montre qu’en 868 le

  1. Soit comme tuteur de Charles de Provence, soit comme vassal de son successeur.
  2. M. Longnon (p. 268-69) relève une troisième circonstance où Charles et Girard se seraient trouvés « en présence l’un de l’autre ; » c’est en 863, « quand Charles dispute à Lothaire II l’héritage de Charles de Provence et que des bandes formées de partisans du nouveau maître de Girard font des incursions dans son royaume ; » mais rien n’indique (voyez le texte des Annales Bertiniani) que Girard, qui n’était plus régent de Provence, se soit trouvé dans ces bandes ni qu’il ait pris une part quelconque à leur organisation.
  3. Girart de Roussillon, Introduction, p. LIII ; cf. Romania, t. VII, p. 177.