Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immédiate et en songeant quel sera son prochain avenir, que son objet est de substituer la politique des Bourbons à la politique des Valois.

Voici cependant un autre caractère, non moins intéressant, de la République de Bodin : Bodin est un « magistrat » et un « jurisconsulte » ou un « jurisprudent » et, en général, c’est une espèce d’hommes tout à fait respectueuse du texte de la loi. On s’en apercevra, si l’on veut bien se reporter à sa Démonomanie des sorciers. Terrible chose que la procédure ! Mais, dans sa République, antérieure pourtant de cinq ou six ans à la Démonomanie, Bodin fait un effort, et, semble-t-il, un effort souvent heureux, pour se dégager de la tradition romaine. Il invoque et il évoque à chaque page les anciens, Aristote et Platon, Polybe et Plutarque, Tite-Live et Tacite, et il y ajoute les anciens qui ne sont pas généralement ceux des « littérateurs, » je veux dire les anciens du Digeste. Mais presque autant que des « écrivains » anciens, il s’autorise des « faits » modernes : l’histoire d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne, d’Italie ne lui sont pas moins familières que l’antiquité gréco-latine. Il introduit ainsi dans sa matière ce que l’on pourrait appeler un commencement de « méthode expérimentale. » En histoire, ce sont les « faits » qui prouvent, et non pas les « raisons » et les « raisonnemens. » Ce qui d’ailleurs ne signifie pas qu’il n’y ait pas de « raisons » en histoire, d’explications et de « causes » des faits, mais ce sont d’autres faits qui jugent à leur tour ces explications, comme ce sont des faits qui ruinent ou qui confirment les assertions de Démosthène ou de Cicéron. Et il y a certainement lieu de chercher en discutant ces raisons et ces faits, s’il y a des « lois » qui les gouvernent, mais ces « lois » ne seront toujours que ces « faits » eux-mêmes, dégagés de ce qu’ils avaient de « circonstanciel » et de « contingent. » Voyons donc cette méthode à l’œuvre.


Et tout ainsi que la prudence du bien et du mal est plus grande aux peuples mitoyens [ce sont ceux des régions tempérées], et la science du vrai et du faux aux peuples du Midi, aussi l’art qui gît es ouvrages de main est plus grande aux peuples de Septentrion qu’aux autres, en sorte que les Espagnols et les Italiens s’émerveillent de tant d’ouvrages de main, et si divers, qu’on apporte d’Allemagne, de Flandre et d’Angleterre. Et comme il y a en l’homme trois parties principales de l’âme, c’est à savoir, l’imagination ou sens commun, la raison, et la partie intellectuelle, aussi en la République, les Pontifes et Philosophes sont empêchés à la recherche des