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Le lendemain, en reconnaissance de ce miracle et de l’ancien miracle de la bataille de Valbeton, où Dieu avait brûlé son gonfanon, Girard, sur le conseil de Berte et de ses hommes, légua à son cousin Foulques la plus grande part de ses terres ; le reste, tous ses alleux francs, il les abandonna à Dieu : « Pour mon soigneur Charles prieront de nombreux moines. Je fonderai treize moutiers ; en chacun il y aura un abbé ou un prieur. Dans la vallée de Roussillon, où coule la Seine, là sera enseveli notre fils, et nous auprès… Comme le dit la loi du Rédempteur, Notre Seigneur laisse monter le pécheur aussi haut que le mont Liban, puis il descend aussi vite qu’un oiseau descend du ciel (§ 673). »

Les guerres sont finies ; les œuvres sont commencées (§ 674). Ainsi se termine la chanson de Girart de Roussillon.


II

Girard de Roussillon, ce héros de roman, fut d’abord un homme de chair et d’os. Il n’est autre que le comte Gerardus, qui fut régent du royaume de Provence au temps de Charles le Chauve. Cette identité est si évidente qu’elle fut reconnue d’emblée, dès le XVIe siècle, par les plus anciens historiens de l’époque carolingienne. Depuis, elle n’a été contestée qu’un instant, par un érudit qui a bien vite reconnu que ses doutes n’étaient pas fondés. Elle ne sera jamais plus contestée par personne.

Comme ce comte Girard a rempli de hautes fonctions, nous possédons sur lui des témoignages en nombre, qui nous permettent, par une fortune rare, de voir à plein « le même personnage sous ses deux aspects, l’aspect historique et l’aspect légendaire. » De plus, sa biographie a été décrite par M. Auguste Longnon dans un mémoire qui est un chef-d’œuvre d’information et de critique, complétée par M. Paul Meyer, enrichie encore et replacée dans l’histoire générale du temps par les travaux de M. René Poupardin[1]. L’occasion est donc ici excellente de comparer l’histoire à la légende. Je retracerai rapidement, d’après ces historiens, la vie réelle du comte Girard ;

  1. Voyez A. Longnon, Girard de Roussillon dans l’histoire (Revue historique, 1878, p. 242-79) ; P. Meyer, La Vie latine de Girart de Roussillon, dans la Romania, t. VII (1878), p. 161-235, et Girart de Roussillon, chanson de geste traduite pour la première fois, Introduction (Paris, 1884) ; R. Poupardin, Le Royaume de Provence sous les Carolingiens (Paris, 1901).