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attractive des ports français que nous voyons le fret destiné au long cours, fuir par petits paquets, chargé sans tapage sur d’humbles caboteurs allemands, anglais ou autres, même français, qui le portent, avec connaissemens directs, dans les docks de Liverpool, de Londres, d’Anvers, de Rotterdam, de Hambourg. Là, groupé par masses respectables, il trouve toujours un paquebot en partance, quelle que soit sa destination définitive[1].

Ce manque de force attractive de nos ports exerce une autre influence néfaste sur notre marine de long cours. Nous déplorons, en effet, la mauvaise organisation de nos voies terrées et l’omnipotence des compagnies de chemins de fer. Celles-ci, en vue d’augmenter leurs recettes, établissent des tarifs tels que des marchandises, au lieu d’être embarquées dans les ports les plus proches du centre de production, doivent parcourir souvent des trajets beaucoup trop longs pour gagner un point d’exportation de minime importance. Souvent, même, voyons-nous, comme conséquence de tarifs curieusement combinés, des marchandises trouver avantage à être embarquées dans des ports étrangers, tout en parcourant des trajets beaucoup plus longs que ceux conduisant dans les ports de notre territoire. Bien des chiffres intéressans pourraient être signalés à cette occasion, en particulier pour des marchandises d’exportation qui, par une conception bizarre de la défense des intérêts nationaux, sont amenées par les compagnies de chemins de fer à Anvers et même à Rotterdam, plutôt qu’au Havre ou à Dunkerque. Nous pourrions citer des tarifs s’appliquant à des marchandises de la région du Sud-Ouest et qui effectuent ainsi sur la voie ferrée, pour gagner l’étranger, un nombre de kilomètres considérablement plus grand que s’ils se rendaient sur nos côtes.

Pourquoi ces ports lointains attirent-ils nos marchandises et pourquoi, par suite, nos chemins de fer les avantagent-ils ? C’est qu’ils ont une force attractive résultant de leur puissante organisation ; c’est qu’ils s’imposent par l’importance de leurs marchés ; c’est que les navires savent qu’ils y trouveront un outillage moderne et économique et qu’ils auront toujours, en raison des transactions qui s’y opèrent, un gros tonnage à embarquer, après avoir débarqué les marchandises qu’ils apportent.

  1. Rapport de M. Pierre Baudin, député (séance du 1er juillet 1905), fait au nom de la commission du budget chargée d’examiner le projet de loi sur la marine marchande.