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établies, quand les revenus de chaque citoyen seront le secret du fisc, quand on saura la valeur fiscale de chaque contribuable, le système anglais aura rendu tous les services qu’il peut rendre ; il aura fait son temps ; on lui fera repasser la Manche, et le système allemand s’imposera à nous de tout son poids. L’impôt sera global, personnel, progressif, et nous n’avons pas besoin de dire que le tarif de la progression ira sans cesse en s’aggravant. C’est une idée déjà ancienne et toujours en travail dans les cerveaux socialistes qu’il faut supprimer les contributions directes, du moins en tant que contributions distinctes les unes des autres, et les fondre toutes dans un impôt unique. Aussi la seconde partie du projet de M. Caillaux, celle qui, sous le nom faussement modeste d’impôt complémentaire, introduit chez nous l’impôt unique et progressif, en est-elle à nos yeux la plus importante, comme elle en est la plus dangereuse. C’est là qu’on nous conduit. Ce complément est destiné à devenir le principal, sinon le tout. Les cédules anglaises n’ont pour objet que de servir de canaux aux divers revenus et de les conduire au grand collecteur allemand. Alors, les impôts partiels devenus inutiles céderont la place à l’impôt global. En un mot, le système anglais est le moyen, le système allemand est le but.

N’est-il pas évident, en effet, qu’il y a un double emploi dans la réforme de M. Caillaux ? Que signifie son impôt complémentaire ? Nous comprenons un impôt de ce genre dans un système imparfait, qu’on reconnaît tel, mais qu’on ne peut cependant pas révolutionner de fond en comble, parce que rien n’est plus aventureux en toute matière, et surtout en matière d’impôt. Nous comprenions qu’on nous présentât l’impôt sur le revenu comme un impôt qu’on n’appelait pas alors complémentaire, mais rectificatif, quand on respectait dans son ensemble notre système fiscal, malgré ses prétendues imperfections. Mais M. Caillaux reprend ce système à pied d’œuvre, et il le refait. Il démolit tout pour tout reconstruire. Il n’a donc ni gêne, ni entrave. Si son nouvel édifice est bien distribué, il doit se suffire à lui-même et n’a besoin d’aucun complément. Si on lui donne un complément, c’est qu’on estime qu’il sera mal construit. M. Caillaux aurait-il une pareille défiance de lui-même ? Non ; mais il sait ce qu’il fait. Il prépare l’instrument futur des socialistes ; et c’est parce qu’on l’a compris, ou senti, que son projet a fait naître une aussi violente protestation.

Si nous en examinions les détails, il faudrait y signaler une lacune énorme. Le projet remanie 690 millions de contributions directes, et M. Caillaux, avec une exactitude dont nous laissons à d’autres le soin