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supplians, que lui prodigue un des chefs de l’armée, l’originalité mélodique, et rythmique, et métrique, commence d’apparaître. C’est un détail d’intonation, de modulation, c’est l’enharmonie ou le chromatisme, c’est l’allongement d’une période asymétrique à dessein, le retard d’une cadence ; en un mot c’est l’exotisme qui s’introduit dans l’organisme sonore, et qui bientôt l’envahira, le possédera tout entier.

Il règne d’un bout à l’autre du second acte, le plus remarquable de l’opéra. Notre moderne répertoire lyrique ne possède rien de semblable, ou seulement d’analogue à ces deux scènes, vraiment tout à fait neuves et belles : la rêverie du sultan, parmi les danses et les chants de ses bayadères, et le grand duo qui suit. Au centre de l’œuvre, où nous touchons ici, quelque chose est fort à considérer : c’est que, à la différence d’une Madame Chrysanthème, par exemple (sans parler d’une Madame Butterfly, qui ne compte guère), cette œuvre est faite, en sa partie essentielle, d’élémens authentiques. Dans la musique de M. Messager, bien que nous en recevions une impression d’exotisme, nous ne trouvons et ne pouvons trouver que notre musique. Celle au contraire de M. Bourgault-Ducoudray n’est pas nôtre, elle n’est pas nous. Voici les thèmes et les harmonies, les rythmes et les modes, les mélopées, ou les « mélismes » de l’Orient. Oh ! nous le savons bien, d’un Orient très vaste, très vague, et, pour ainsi dire, infini, tel que le comprennent, ou plutôt, c’est le cas de le dire, tel que l’entendent les musiciens. Mais avec cela, ou malgré cela, cet Orient n’est pas de convention, encore moins de pacotille : il ne sent pas l’artifice, le bazar et le bibelot. Cette musique est sincère, elle est lointaine, et parfois si mystérieuse, qu’elle semble venir à nous du fond de la durée ou de l’autre côté de la terre.

Pour qu’un de ces chants, une de ces danses nous charme, nous trouble, et d’un trouble inconnu, il suffit d’une modulation, du brusque rapprochement de deux tonalités et de leur contraste, d’une note évitée ou suspendue, d’une « résolution » qu’on n’attendait pas, enfin et surtout d’une de ces mélodies véritablement étranges et qui se font pardonner, par leur étrangeté seule, d’oser encore, dans le temps où nous sommes, être des mélodies.

Deux d’entre elles, au cours du grand duo, sont admirables : l’une, très ramassée et très intense, où se mêle au caractère oriental, jusque dans les gruppetti dont elle est ornée, un sombre éclat wagnérien. L’autre, plus originale encore et vraiment extraordinaire, mélopée autant que mélodie et même davantage, sorte de vocero pathétique