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marié pour de vrai. Par surcroît, il ramène avec lui sa véritable, américaine et complaisante épouse. Et savez-vous pourquoi ? Pour enlever, d’accord avec elle, à la pauvre maman papillonne, un petit papillon né de lui depuis son départ. Il semble bien que ce redoublement, j’allais dire ce « revenez-y » de cruauté, force le ton du sujet et le fausse, faisant de mistress Pinkerton le plus sot, et, de Pinkerton lui-même, le plus vilain personnage. Du même coup, Butterfly en devient le plus tragique, et s’ouvre la gorge, — ou quelque chose d’approchant, — à la mode de son pays. Ainsi la copie exagère en tout les traits de l’original : elle le grossit et l’ensanglante. Les amours de Mme Chrysanthème n’avaient eu ni cette conséquence maternelle, ni cette mortelle conclusion.


Qui nous vins d’Italie et qui lui vint des cieux,


disait à la musique, ou de la musique, Alfred de Musset. Depuis la mort de Verdi, ce qui nous vient d’Italie ne lui vient pas de si haut. Quelques accens de Cavalleria Rusticana, les plus justes, lui venaient du peuple. Pagliacci paraissaient plutôt venir de la rue. Quant à la Bohême, où les « cieux » n’avaient rien à prétendre, elle plaisait par quelque chose d’humain et de vivant : par le mouvement et le charme, par la gaieté, le naturel et la vérité, celle du dehors toujours et, çà et là, dans l’ordre sentimental, celle du dedans et du fond. Cordiale et vraiment sympathique, cette œuvre est jusqu’ici la meilleure de M. Puccini. La musique de la Tosca sembla plus grosse ; plus pauvre est celle de Madame Butterfly.

Cela commence par une fugue. Oh ! par un semblant, un soupçon de fugue ou de fugato. Et, ma foi ! cela ne commence pas trop mal : gentil motif, spirituel, agile à souhait, propice au « quatuor, » et dont la vivacité, les tours et les détours, donnent une impression assez locale, ou plutôt ethnique, de petits gestes, mines, grimaces et menus trottinemens. La diffusion de ce thème à travers le premier acte en est le plus vif et peut-être l’unique agrément. Non, pas tout à fait unique. Te m’accuse de n’être pas absolument insensible à l’apparition de Butterfly et de ses co-mousmés. Il n’y a là qu’une progression, ou, comme dit l’argot musical, une « rosalie, » et la plus ordinaire du monde ; une ascension harmonique et tonale, qu’un accroissement sonore accompagne et que domine la facile, trop facile cantilène de Butterfly. Mais cette facilité même, cette sonorité pleine et brillante, a de quoi nous séduire. Comme le groupe éclatant qui monte le coteau,