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À dix-neuf ans, l’auteur d’Evangeline était nommé professeur à Harvard. Il en partit pour voyager dix ans à travers l’Europe. Les nombreuses traductions, — de Dante, de Heine, de Michel-Ange, de Lope de Vega, — que nous devons à des études sérieuses, prolongées par l’écrivain hors de son pays, ont du prix sans doute, mais cet exercice assouplit jusqu’à l’amollir le style de Longfellow et en fît l’instrument d’une besogne parfaite plus que d’une œuvre originale. Longfellow, qui est né la même année que Whittier, prend, en face de ce poète du quakerisme, figure de décadent. Les longues narrations en vers où il traite des sujets purement américains deviennent, par l’insuffisance de la forme, prétentieuses et insipides. C’est à une épopée finnoise qu’il emprunte le mètre de son Hiawatha, le poème des légendes indiennes ; mais ni l’étrangeté du rythme, ni l’exotisme du sujet ne dérobent l’invention à l’empreinte vertueuse dont l’auteur marque tout ce que touche son talent. Son héros, Hiawatha, est un Peau-Rouge et tout ensemble un puritain. De la première expédition que cet Indien entreprend pour se venger du mal fait à sa mère par Mudgekeewis « accessible au remords, » jusqu’à l’heure de sa conversion et jusqu’à son départ en habit de missionnaire (conclusion de l’histoire), — ce sauvage apparaît dominé, non par ses propres instincts, mais par les intentions du poète. Le mérite de cette composition réside, en fin de compte, dans le pittoresque du cadre, dans la bizarrerie des traditions recueillies par l’écrivain. Evangeline et Miles Standish, les deux longs poèmes qui, pendant un demi-siècle, ont contribué à faire de Longfellow l’écrivain le plus populaire de son pays et le plus généralement connu au dehors, n’échappent pas au défaut de banalité où tombe Hiawatha. Tous les deux sont écrits en hexamètres d’une impeccable correction dont le poids fait descendre les inspirations naïves du poète au niveau du médiocre.

Miles Standish, capitaine de Plymouth, une figure très en vue dans l’histoire de la Nouvelle-Angleterre, forme le dessein de se marier. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, » dit l’Écriture. « Son courage, qui ne recule ni devant les balles, ni devant la bouche d’un canon, » fond dans le tremblement à la seule pensée de courtiser une femme. Quand il a arrêté son choix sur Priscilla, une aimable enfant de Plymouth, il lui députe, pour plaider sa cause, le jeune John Alden. Priscilla s’éprend de cet amoureux par procuration qu’on lui envoie. Elle