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Un an plus tard, Robert revint en France et sa chère maison lui parut désolée, tant était profond le vide qui s’y était creusé. Dès le lendemain de son retour, de très bonne heure, il vint me trouver : ‘< Je ne sais pas où on l’a mis, viens avec moi ? » Il eût préféré être seul, mais on sait se faire seul, à ces momens-là ?…

C’était à l’aube d’une journée de printemps. Le soleil se levait. Aux arbres des feuilles nouvelles ; dans les feuilles, des nids, — et les oiseaux chanteurs passaient au-dessus de nous, légers, actifs, heureux. Au loin, les hautes montagnes, les rochers sévères, partout le calme particulier des matins. L’espace, l’air et les deux, paisibles, transparens, élevés et purs, — l’impassibilité, la glaciale indifférence des choses. A côté de nous, une tombe, un nom, celui de mon père.

Peu d’années après, ma mère s’endormit, elle aussi « dans la paix du Seigneur. » Sa mort fut digne, sainte, consentie. Nous l’avons placée, mon frère et moi, à côté de notre père, sous la même pierre où fut gravé le même nom. Quelques mois après, cette pierre dut se soulever à nouveau, — avant d’être à jamais scellée. Pour la troisième fois on y gravait un nom, toujours le même, celui du dernier des miens.

La mer qui l’avait repris me le rendit, ou plutôt je le lui arrachai. Il ne voulut céder ni aux instances de l’amitié, ni aux menaces de la mort. Elle le terrassa. Cette mort qui l’avait tant regardé, mais qu’il avait toujours chassée, il essaya de la braver encore. Son cœur de flamme, sa volonté de fer se révoltaient. De puissantes étreintes d’âme et de corps le saisirent, effroyable lutte, sans nom, sans trêve. Ce qu’il aimait, il fallait l’oublier ; son épée, la mer, sa patrie, l’avenir, l’existence, ses affections, ses tendresses, tout. Tout croulait, vaines visions de la vie, horreurs de la mort, il dut tout subir.

Non vaincu, mais conforté par de suprêmes espérances, il accomplit le dur sacrifice, et s’en alla pacifié vers les océans éternels. Dans cet infini de Dieu il ne doit plus rêver, comme dans les mers d’ici-bas, de rivages abandonnés, de foyer déserté, de cœurs délaissés…