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J’entends dire que la marine est irresponsable des erreurs de la diplomatie.

Qu’il me tarde d’être auprès de vous, d’oublier ces choses, de me reposer enfin at home, car je me trouve sans force, sans ressort !


Une aussi longue absence, des fatigues extrêmes, un mécontentement vivement ressenti devaient, non seulement affaiblir le physique de Robert, mais porter atteinte à sa confiance, jusqu’ici entière ; un doute blessant succédait à son admiration. Malgré tant de causes de découragement, il ne s’abandonnait pas et luttait vaillamment contre la diminution de ses forces. « Il faut être d’acier, disait l’amiral Touchard, pour résister à notre vie. » Mais le vent des côtes emportait ces paroles sages, la jeunesse se croit invulnérable. Qui ne sait le dur labeur des marins ? Combien d’entre eux, mortellement atteints, sont enlevés dans toute leur vigueur ou en pleine maturité, à la veille des actes définitifs et personnels. Ils tressaillent des ardeurs sublimes du héros, alors que la mort les marque inexorablement « sans nul symptôme encore apparent. »

Au retour des longs voyages, vraies battues des mers, l’officier de vaisseau rentre las et content au foyer familial. La paix de la maison tranquille repose l’errant des lointains : « Mère, qu’il fait bon ici, c’est une paix divine ! » Cette maison, s’il y eût longtemps vécu, peut-être l’eût-il trouvée trop étroite, trop silencieuse ; mais dans la longueur du chemin, ces haltes, rares et courtes, lui étaient salutaires, très douces. Sous notre toit il parlait d’avoir un foyer à lui et pensait à l’adorable présence d’une femme aimée, de petits enfans. Il souriait à ces chères visions, idéal de ceux qui aiment le drapeau, « toujours prêts à se battre, mais entre deux combats rêvant des plus saintes joies. »


Ne pourrais-je pas servir honorablement mon pays par l’application de mon esprit, la pratique de mes études, ce que j’ai acquis de la vie, de mon contact avec mes semblables, ce que j’ai appris dans mes voyages, comparé et compris ? Serais-je un inutile sur la terre ? Un oisif, jamais !

Ecoute, cher ami dévoué[1], je suis à un tournant de la vie où l’âme se trouble et perd le meilleur de ses facultés. La confiance en soi s’altère, la volonté elle-même semble osciller, et je flotte indécis, incertain, comme si ma voie s’obscurcissait d’inexprimables regrets, de pressans désirs… Cette vie fatigue

  1. M. H. de L…