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quelque caractère qu’on la définisse, appartient à la française, quelle raison avons-nous de sacrifier notre patrimoine national à la superstition de l’étranger, et de nous détourner de nos propres richesses pour n’y rien substituer qui soit seulement du même prix ? Nous possédons une langue admirable, la première du monde, après la grecque, à laquelle d’ailleurs elle ressemble tant : quelle est cette manie de la « gâter » nous-mêmes, et pour ainsi dire de nous inscrire en faux contre l’estime que l’Europe en fait depuis qu’elle la connaît ? Telles sont les considérations qu’Henri Estienne avait déjà plus qu’indiquées dans l’Apologie, qu’il va développer dans trois de ses ouvrages : le Traité de la conformité du langage français avec le grec, 1569 ; les Deux dialogues du langage français italianisé 1578 ; et la Précellence du langage français. On y pourrait même rattacher, comme témoignage de sa haine de l’italianisme, et des Italiens, le Discours merveilleux de la vie, actions et déportemens de Catherine de Médicis, 1575, où d’ailleurs il est peu question de grammaire, s’il était bien certain que ce pamphlet fut de lui. Et, en effet, dans ce pamphlet, ce qu’on reproche le plus injurieusement à la fille des Médicis, c’est presque moins d’être elle-même, que d’avoir introduit et comme acclimaté dans son pays d’adoption tous les vices de son pays d’origine. A travers elle, et pour ainsi parler au-delà d’elle, ce que le pamphlétaire attaque en elle, c’est la conception politique du Prince, considérée comme l’expression du génie italien… Mais on ne peut pas répondre que ce Discours soit d’Henri Estienne, et il semble que l’authenticité de l’attribution soit douteuse, quand on prend garde qu’à ce moment de l’histoire le protestant de Genève passait sous la protection d’Henri III. La Précellence du langage français, qui parut en 1579, a été écrite sous l’inspiration personnelle d’Henri III. C’était dans le temps que ce prince, toujours énigmatique, prenait à l’Académie de musique et de poésie de Baïf l’intérêt qu’on a vu.

Aussi bien, et si d’abord, quand il écrivait l’Apologie, Henri Estienne avait manifesté le dessein de s’en prendre au romanisme et à l’italianisme tout entiers, il s’était trouvé promptement inférieur à sa tâche, et promptement, entre ses mains, de politique et de morale, l’affaire était devenue purement grammaticale et philologique. Cela est un peu moins vrai des Deux dialogues du langage français italianisé, mais cela l’est