Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« A mon grand regret, il faut que je cachette avant de pouvoir vous dire ce qui en est ; mais la renommée précédera ma lettre. Adieu, mille fois, mon très cher et aimable comte, soyez bien persuadé que quand vous seriez mille fois plus déclarationiste, je ne vous en aimerais pas moins. Je ne cesserai de regretter le temps où nous pouvions nous casser la tête dans la même voiture. Il peut se faire, hélas ! que je ne doive plus vous revoir ; mais, tant que je vivrai, comptez, je vous en prie, sur mon tendre et inextinguible souvenir. Je tiens toujours pour les Puttini sans vous gêner cependant sur le nombre. Pas moins de deux cependant, mais dépêchez.

« Si mon fils était ici, il me chargerait de mille choses pour vous, car il ne vous oublie point. Quant à mon frère, il est entièrement perdu. Il est attaché à l’armée de Tormanssoff, qui, depuis un siècle, ne donne plus de ses nouvelles. Il s’est trouvé à Kobsin le 6/18 août, lorsqu’on goba l’avant-garde saxonne. Il a été encore à la bataille livrée le 31 juillet (12 août) aux Autrichiens. Dès lors, silence absolu. Koutousoff, qui est réellement empereur de l’armée de Russie, donne ses ordres de tous côtés et rend compte de temps en temps. S’il peut battre notre ami Napoléon près de Moscou, il lui médite une retraite dont il sera, j’espère, question dans l’histoire. Ecoutez, je vous prie, le détail des armées qui s’avancent :


Tormanssoff, à Pinck, il y a un mois, avec 25 000 h.
Sacken à la même époque, à Gitomir, avec 25 000
Tittchagoff venant de Doubin, avance avec 40 000
Ignatieff est à Bobronisk, gouvernement de Minsk, avec 15 000
Hertel à Moshyr, même gouvernement, avec 20 000
Wittgenstein sur la Duna entre Polock et Wittebsk, avec 20 000
Essen à Riga, avec 20 000
Le débarquement de Finlande vient de le joindre 20 000
Total, si je ne me trompe 185 000


« Admettons dans tout cela les exagérations ordinaires, qui en ôteront quelques milliers d’hommes, il en restera assez pour vous faire sentir ce qui peut arriver si Napoléon est battu pendant qu’une masse de plus de 150 000 hommes marche sur ses derrières. Si vous ne faites prier pour lui, mon cher comte, il est bien mal ; mais j’ai été si souvent désappointé que je me