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aimable, mais parce que vous me témoignez une amitié, un intérêt, un attachement que je sais apprécier et que je n’oublierais de mes jours. Soyez également sûr, mon cher comte, que personne ne rend plus justice que moi à votre génie, à vos connaissances, à vos sentimens et que j’aime votre façon de penser autant que j’estime votre personne. » Il est vrai qu’après avoir poussé ce cri d’affectueuse admiration, il ajoutait : « Mais il est un objet sur lequel je ne puis céder ni à vos raisonnemens, ni à votre profonde conviction. C’est Les quatre fameux articles de 1682, que vous condamnez et que je regarde au contraire comme renfermant tout ce qu’on a dit de mieux sur la puissance ecclésiastique. »


Il n’entre pas dans notre dessein de transporter ici le débat qui se continue dans la réponse de Blacas et nous n’en voulons retenir que le trait qui le clôt : « Enfin, je vois bien, mon cher comte, que nous resterons chacun dans notre croyance. Mais, sauve qui peut ! Nous n’en serons pas moins amis dans ce monde, et j’espère que nous nous retrouverons dans l’autre… Si les choses changeaient en France et que, par malheur, je fusse ce que vous appelez le maître, mon premier soin serait de faire rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu et à César ce qui appartient à César ; et ensuite, à supplier l’auteur des Considérations de venir à mon aide, car je le regarde comme le seul qui ait dit, qui ait démontré la vérité. Et éclairé de ses lumières et fort de ses conseils, nous aurions tous les moyens de reconstruire, ou, pour mieux dire, de rétablir le grand édifice. »


III

Tandis que Joseph de Maistre lisait cette lettre, Blacas recevait celle que, sans attendre de recevoir la sienne, son ami lui écrivait sous l’empire des émotions que déchaînait dans la capitale russe l’imminence de la guerre avec la France.


« Saint-Pétersbourg, 1er (13) février 1812. — Qui l’aurait dit, mon cher comte ? Avant que vous ayez reçu mon dernier in-folio, voilà encore une occasion qui se présente pour vous écrire sûrement et je ne veux pas qu’il soit dit que je n’en ai pas profité ! Vous croyez peut-être que je vous ai prié en badinant de me