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Ginguené dit à Paris, aussi haut qu’il lui est permis de parler : Si comme l’a dit et assez bien prouvé fauteur des « Considérations sur la France, » etc. ; et il existe ici un exemplaire de ce livre tout apostille par la main de Jean-Louis Soulavie dans les endroits où je marque ces caractères de la monarchie française, qui la rendront éternellement le modèle de toutes les autres. Il est dit dans un assez bon livre (comme disait La Fontaine) : Les femmes publiques vous précéderont dans le royaume. Il faudrait vous dire à vous : Les sans-culottes vous précéderont. Assouplis par l’expérience, par la réflexion et par les remords, plusieurs sont devenus très accessibles à la vérité. Mais vous, mon cher comte, si bon, si droit, si noble, si pur, si fidèle, savez-vous ce que vous feriez si les choses changeaient brusquement et que le pouvoir fût en vos mains ? Vous commenceriez par un schisme, sans que les sanglots des gens de bien, ni les applaudissemens de la canaille puissent jamais arriver jusqu’à votre tympan. Pourquoi ? Je vous l’ai dit, parce qu’une erreur s’étant malheureusement jointe dans votre esprit à des sentimens aussi nobles que justes sur lesquels vous êtes avec grande raison excessivement chatouilleux, le tout est devenu, dans votre esprit, un et indivisible, comme l’auguste République française, de manière que vous vous passionnez pour ce funeste alliage comme vous auriez droit de le faire pour la pure et sainte vérité. Si le préjugé s’était moins emparé de votre tête, il suffirait d’une seule considération pour en chasser la déclaration de 1682 et toutes les idées accessoires ; c’est de voir que le monstre [Napoléon] en fait son code ecclésiastique, sa loi chérie, son Evangile politique, qu’il Ta fait réimprimer, afficher, étudier, jurer, encadrer, préconiser, etc. Encore une fois, il n’en faudrait pas davantage pour vous la faire abhorrer si vous étiez de sang-froid ; mais vous ne l’êtes pas.

« Je m’amuse à voir que votre juste fierté s’indigne d’un certain titre[1]. Cependant, vous ne pourrez guère l’éviter, car il est toujours et légitimement décerné par l’infaillible opinion à la passion qui n’écoute personne et ne sait pas trier. Je veux cependant faire encore un effort sur votre esprit que

  1. En annonçant à Joseph de Maistre la mort de d’Avaray et en défendant ce dernier contre des critiques qu’il trouvait injustes, Blacas avait écrit : « Je sais que l’on en dit autant de moi quoique l’on ne m’honore pas encore d’un titre (celui de favori) que j’espère ne jamais mériter, parce que je le regarde humiliant pour celui qui le porte et insultant pour celui qui le fait porter. »