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point de départ d’une longue dissertation théologique, où sont aux prises l’ultramontanisme et l’Église gallicane.

Ce n’est pas seulement sur ce point que Blacas contredisait son illustre ami, témoin la lettre suivante de celui-ci, qui marque sur quoi et en quoi ils différaient et le marque avec le fougueux emportement qui caractérise la plupart de ses écrits.


« Saint-Pétersbourg, 24 décembre (5 janvier 1812). — Qui m’aurait dit, mon très cher et aimable ami, que je pourrais répliquer si tôt à votre excellente épître du 29 octobre. C’est ce qui arrive cependant et j’en suis tout joyeux. Rien de nouveau ici depuis celle que vous avez reçue de moi, excepté les victoires du comte Koutousoff qui a manœuvré divinement contre les turbans[1]. Le fruit de la victoire a été tout ce que vous avez vu dans les gazettes. On n’est pas peu surpris ici de n’avoir pas vu encore arriver la paix qu’on attendait déjà le jour de la fête de l’Empereur (4-12). L’anicroche est probablement la Serbie. Je crois cependant que tout s’arrangera, car les Turcs sont absolument à bas et ne savent plus de quel bois faire flèche. Seize mille janissaires mettant bas les armes et se rendant à discrétion, sont un événement inouï dans les annales du Croissant, et un signe de décrépitude et de véritable agonie politique. J’entends bien que Napoléon intriguera de toutes ses forces pour retarder la paix ; mais les Turcs sont aux abois : d’ailleurs, et ne vous y trompez pas, ils connaissent parfaitement l’ennemi commun : j’en ai des preuves frappantes. Ainsi, je compte sur la fin prochaine de cette guerre également impolitique et immorale. La postérité aura peine à croire qu’on a perdu des flots d’or et de sang dans cette abominable lutte, tandis que le salut du monde est en l’air.

« Ensuite, qu’arrivera-t-il ? Je n’en sais rien, et même je ne désire rien, parce que je n’ai pas de raisons décisives pour désirer. Les armées, à la vérité, sont fort belles, l’artillerie nombreuse et admirable, etc., etc., etc. Voilà bien de la matière ; mais où est l’âme ? L’esprit d’infidélité, de vol et de gaspillage, inné dans la nation, n’est point du tout affaibli et va son train. L’Empereur le sait : il croit de plus n’avoir point de généraux, quoique, sur ce point, il faille, cependant, se résoudre à tâtonner, car si l’on

  1. La Russie était en guerre contre la Turquie depuis 1809. La paix fut signée à Bukarest en 1811.