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de mon silence. Sans reproche, cher comte, voici la cinquième épître que j’ai l’honneur de vous adresser depuis cinq mois ; la première, du 8 août, a été envoyée au baron de Roll ; la seconde ; du 3 novembre a dû vous être remise par le baron de Roll ; la troisième du 1er décembre est partie sous le couvert du comte de Brion. Le roi de Suède Gustave IV a daigné se charger de la quatrième et celle-ci voyage sous les auspices du ministre de Portugal qui va à Pétersbourg. Elle vous arrivera donc aussi sûrement que celle qui l’a précédée. Je devrais croire que les autres vous parviendront également ; mais, depuis que je suis ici, il y a un sort attaché à mes lettres. Tout se réunit pour me tourmenter, me vexer, me contrarier, et les contrariétés et les vexations sont encore peut-être les moindres peines que j’éprouve. Celles qui portent sur l’objet de tous nos vœux, de tous nos souhaits sont les plus sensibles.

« J’ai acquis la malheureuse certitude que les mêmes systèmes qui ont tout perdu sont toujours ceux qui dirigent les affaires ; que les hommes changent, mais que les principes restent ; que personne ne connaît son véritable intérêt ; que le but que l’on devrait tâcher d’atteindre est celui que l’on voit le moins et qu’il est même devenu inutile de le montrer. Ne croyez cependant pas que je désespère ; à Dieu ne plaise ; mais, il faut toute ma volonté de résister pour tenir tête d’une part à ceux qui veulent tout laisser perdre et de l’autre à ceux qui, croyant tout perdu, voudraient tout abandonner.

« Je vous ai parlé, dans mes lettres du 4 novembre et du 1er décembre, de la facilité avec laquelle on pouvait rétablir les liaisons qui n’auraient jamais dû cesser d’exister entre la Russie et l’Angleterre. Je vous engageais avoir le comte Romanzoff, à lui en parler avec franchise. Je sais qu’il y a eu des paroles dites de part et d’autre et que l’on n’a pu s’entendre. Je sais que tout le monde le voudrait et je crois qu’il serait très utile pour la cause et très intéressant pour nous de pouvoir amener à un rapprochement d’une si haute importance pour l’intérêt de tous. Je crois être sûr que le porteur de cette lettre l’est de paroles importantes. Dieu veuille que vous ou lui soyez écouté.

« Je ne vous dirai qu’un mot de ce qui nous regarde. Mon ami est toujours à Madère[1] où sa santé ne paraît pas se

  1. D’Avaray était parti pour Madère le 23 avril 1810. Il y mourut au mois de juin 1811.