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l’accepter. Comme cette première instance risquerait de n’être point décisive, le lendemain, nouveau télégramme. Guillaume II, cette fois, dénonce nos convoitises, l’avidité de nos banques, les appétits de nos coloniaux, et presse le président d’agir sur nous. Deux jours plus tard, enfin, le 17, troisième dépêche. Elle est plus énergique encore que les précédentes : elle affirme explicitement que l’Italie, la Russie, l’Angleterre et l’Espagne ont abandonné la France ; que les États-Unis seuls l’appuient ; que l’intérêt de la paix exige qu’à leur tour ils se prononcent pour le projet autrichien et forcent ainsi notre consentement.

Des procédés regrettables dont, depuis le début de l’affaire, avait usé vis-à-vis de nous la diplomatie allemande, ceux-là étaient les moins défendables. Car cette prodigieuse intrigue nouée contre notre pays, à l’heure où une crise ministérielle l’affaiblissait moralement et lui donnait l’air d’un navire sans pilote ; cette affirmation de notre isolement, affirmation que rien ne justifiait, comme on devait quelques heures après le constater publiquement ; ce réquisitoire véhément contre notre intransigeance, alors que, depuis le dépôt du projet autrichien, nous avions été les seuls à modifier nos propositions, l’Allemagne maintenant les siennes et se dérobant ainsi à la « mise en harmonie » des textes en présence, tout décelait le dessein de nous faire violence. Et la hâte avec laquelle les journaux, les ambassadeurs, le chancelier, l’Empereur agissaient, à reprises successives, sur tous les points du monde, trahissait la confiance de nous arracher, avant que nous n’eussions un gouvernement, le sacrifice de nos droits et de nos intérêts : coup de force diplomatique préparé et accompli dans le silence des chancelleries, et dont la hardiesse risquait d’obtenir la consécration du succès.

Jamais, en effet, notre situation n’avait été plus grave, jamais les résultats acquis n’avaient été plus compromis. Si nous avions pu saisir dès le principe tous les fils des menées adverses, il nous aurait été possible de dissiper tout de suite l’équivoque et de rompre le réseau que l’on tendait sur nous ; mais, malgré le télégraphe, une manœuvre comme celle dont nous étions l’objet et qui se poursuit sur tant de terrains à la fois, ne se révèle qu’au bout de quelques jours. Pour la parer, il faut que la nouvelle en arrive d’abord aux représentans du pays qu’elle vise ; qu’elle soit transmise par eux à leur gouvernement ; que leurs informations centralisées et coordonnées empruntent à ce