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dans nos Histoires, n’ont ou ne semblent avoir détourné de leur tâche aucun de ces humanistes dont l’énumération, si l’on voulait la faire complète, serait plus longue que cette de nos poètes, puisque d’abord elle les comprendrait. L’année de la Saint-Barthélémy a vu paraître les Moralia, la Franciade de Ronsard, et le Thesaurus linguæ græcæ, d’Henri Estienne ; et il est vrai que la Saint-Barthélémy n’est qu’une nuit de l’année 1572, et il n’est pas moins vrai que, pour paraître en 1572, il fallait que le Thésaurus et la Franciade fussent, comme ils l’étaient, « en préparation » depuis de longues années ; mais depuis le massacre de Vassy jusqu’à la promulgation de l’Édit de Nantes, on peut bien dire que la France a vécu dans le tumulte et l’horreur de la guerre civile compliquée de la guerre étrangère, et toutes les deux exaspérées par le fanatisme religieux, sans que ni l’abondance ni la régularité de la production littéraire en fussent troublées ou interrompues. Il faut croire que la paix, utile d’ailleurs, et même généralement favorable aux arts, n’est pas indispensable à l’étude, et que le monde est toujours assez vaste pour que, tandis que les uns s’entr’égorgent sur les champs de bataille, d’autres hommes, dans l’isolement et la tranquillité des loisirs qu’ils se sont faits à eux-mêmes, continuent de rimer des vers, comme Ronsard, de réformer, comme Baïf, la métrique ou l’orthographe de leur langue, de traduire du grec, comme Amyot, de s’observer eux-mêmes, comme Montaigne, je ne dis pas sans se soucier de ce qui se passe autour d’eux, — ils le voudraient qu’ils ne le pourraient pas, et aussi les voit-on s’y intéresser activement, — mais pourtant la continuité de leur labeur n’en est pas contrariée, ni surtout diminué l’intérêt majeur qu’ils prennent à leur genre de travaux. Silent leges inter arma, dit-on. « La voix des lois cesse de s’entendre parmi le tumulte des armes ! » Il n’en est heureusement pas ainsi de l’activité de l’esprit, et au contraire, si nous disons qu’au travers même de ces agitations, il semble que notre littérature ait acquis une conscience plus nette de son rôle et de sa fonction sociale, ce n’est pas un paradoxe que nous avancerons, mais la vérité même, la vérité de fait que nous constaterons.

La « littérature » n’est pas un divertissement ! Non seulement les guerres abominables, qui ensanglantent la seconde moitié du XVIe siècle, n’ont ni suspendu, ni ralenti son activité littéraire, mais c’est alors que, d’une manière générale, une littérature