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Plaute : il y a même, dans l’Hécyre, une vieille femme fort maltraitée par son mari, et presque par tout le monde, qui répond à toutes les injures avec une touchante douceur. Térence n’insiste guère que sur les rapports du père avec ses enfans ; encore est-il rarement question des filles. La fille ne tient pas une grande place dans la famille antique. On la voit presque partout arriver avec déplaisir. Souvent, surtout chez les Grecs, on l’expose dès sa naissance devant la maison, pour s’en débarrasser, et l’emporte qui veut. Quelquefois même l’exposition ne suffit pas, et l’on prend un moyen plus cruel, mais plus sûr, d’en être délivré pour jamais. Térence, le doux Térence, ne répugne pas à cette extrémité. Dans une de ses pièces, un père, qui retrouve, après longtemps, une de ses filles qu’un passant a recueillie, et qui est fort mécontent de ce surcroît imprévu de famille, fait des reproches à sa femme, qui l’a exposée : « Il fallait la tuer, lui dit-il, interemptam oportuit[1]. » Voilà un de ces mots qui donnent le frisson et qui font bien comprendre l’insuffisance de ce qu’on appelle orgueilleusement « la morale naturelle. » Térence, s’occupant assez peu de la femme et de la fille, est donc restreint aux rapports du père avec ses fils. C’est le sujet de plusieurs de ses pièces. Dans les Adelphes, il représente un oncle très indulgent et un père très rigoureux, chargés d’élever deux frères, et il montre les effets de ces deux éducations différentes. Comme le père et l’oncle sont tous les deux exagérés dans leurs principes, il ne donne tout à fait raison à aucun, mais on voit bien que de tout son cœur il est avec le bon Micio. Cet excellent homme a peut-être accordé trop de liberté à son élève ; il a trop complaisamment fermé les yeux sur ses fredaines, mais il a résolu ce qui est le grand problème de l’éducation, il s’est fait aimer. Le père, nous dit Térence, doit s’attacher à gagner la confiance de son fils. « Il faut qu’ils n’aient pas de secret l’un pour l’autre, qu’ils se connaissent, qu’ils s’entendent. » Chrêmes se plaint d’avoir été cruellement dupé par le sien ; il ne sait que faire pour prévenir dans la suite de semblables désordres ; Ménédème lui répond ces belles paroles : « Qu’il trouve désormais en toi un père, fac te patrem esse sentiat[2], et ce qui prouve que le conseil est bon, c’est que les enfans ainsi élevés ne perdent pas, au milieu de toutes leurs folies, leur affection

  1. Heautontimofumenos, IV. 1.
  2. Ibid., V, 1.