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et alors on se demande si la coalition électorale, appelée à devenir la majorité parlementaire, pourra être maintenue par d’autres moyens que ceux qui l’ont formée. Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’intérêt que cette question présente, même en dehors de l’Allemagne.

C’est à cet intérêt qu’il faut rattacher l’impression assez vive qu’on a éprouvée dans plus d’un pays en lisant le discours éloquent, impétueux, glorieux, que l’empereur Guillaume a prononcé du haut d’un balcon pour tirer du scrutin qui venait d’avoir lieu toute la leçon qu’il contenait. Quinze jours auparavant, après le premier tour, le chancelier de Bülow avait paru éprouver déjà quelque ivresse oratoire, lorsque, rappelant un mot célèbre de Bismarck, il avait dit qu’il suffisait de mettre l’Allemagne en selle et qu’elle chevauchait ensuite toute seule. L’image, réduite à ces proportions, était saisissante ; elle avait cessé d’être menaçante depuis le temps lointain où Bismarck l’avait employée. Mais l’Empereur ne s’en est pas contenté : il l’a singulièrement amplifiée. « Je suis fermement convaincu, a-t-il dit, que si toutes les classes sociales, toutes les confessions continuent de rester étroitement unies, nous ne nous contenterons pas de monter à cheval, mais que nous foulerons aux pieds de notre monture tous les obstacles qui se dresseraient devant nous. Je terminerai par une citation de notre grand poète Kleist, qui dans son Prinz von Hombourg fait dire au Grand Électeur : « Que nous importe la règle qui nous sert à battre l’ennemi ! l’essentiel est qu’il succombe devant nous avec tous ses drapeaux. La règle avec laquelle on l’a vaincu est la meilleure, nous apprenons maintenant à le vaincre et nous sommes pleins d’entrain pour continuer. » C’est pourquoi il ne faut pas que notre élan patriotique soit un feu de paille, mais une résolution ferme comme le roc de persévérer dans ce que nous avons commencé. » Ce discours respire une joie débordante, et au surplus très naturelle. Les souverains n’ont pas l’habitude de s’exprimer en images aussi flamboyantes ; mais, à ce point de vue, Guillaume II n’est pas un souverain comme les autres. N’importe : son discours a ressemblé à un coup de clairon retentissant. Les journaux allemands ont cru devoir expliquer qu’il ne s’agissait là que des affaires intérieures du pays, et que le cheval de l’empereur Guillaume n’avait piétiné que les socialistes allemands : encore ne l’avait-il fait que par métaphore. Au surplus, l’Empereur a parlé trop souvent de sa poudre sèche et de son épée bien affilée pour que les sabots de son cheval fassent beaucoup plus d’effet. Mais la nature même de la campagne électorale et de la victoire