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inspiraient au poète une tirade demeurée fameuse. Jacasse a une bosse, et il est inévitable qu’il en célèbre avec truculence les avantages. Il y avait un bravache dans les Romanesques ; nous avons un matamore dans les Bouffons. Et les lazzis ne s’y comptent pas. Une pièce en vers doit être sentimentale ; il faut de toute nécessité qu’un amour pur y soupire, et, pour s’exprimer, appelle à son aide la brise et le bleu du ciel. Cela est innocent, ingénu, et à l’usage de la jeunesse. Je sais bien que la tradition est déjà ancienne. Le romantisme nous a habitués à considérer que les vers sont faits pour être le langage magnifique ou charmant de l’absurdité ; ils n’avaient pourtant pas mal servi naguère à exprimer les mouvemens les plus profonds de notre cœur ou les aspirations les plus hautes de notre âme. En faisant perdre au théâtre en vers tout sérieux, on lui enlève sa raison d’être. Peu à peu on en vient à penser que ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le versifie. On estime qu’il faut des pièces en vers... pour les enfans. Nous supplions les poètes, qui se sentent une vocation d’auteurs dramatiques, de ne pas se persuader qu’une pièce en vers doive être nécessairement une féerie.

Mme Sarah Bernhardt a été une fois de plus admirable, dans le rôle de Jacasse. Elle est étonnante de jeunesse, de grâce, d’espièglerie et de tendresse. Et on se rend bien compte, en l’entendant soupirer et moduler certains passages, qu’elle est seule aujourd’hui pour porter à cette perfection l’art de dire les vers. elle est d’ailleurs, à elle seule, toute la pièce.


Avec la nouvelle comédie de M. Tristan Bernard, nous restons dans le domaine de la fantaisie. Sa sœur appartient au cycle des pièces du théâtre de Madame, genre charmant, qui d’époque en époque se renouvelle, auquel chaque période peut apporter sa note de modernité et chaque auteur sa marque originale. Comme Mademoiselle Josette ma femme triomphe au Gymnase, Sa sœur fera les beaux soirs de l’Athénée. Dans les deux cas, on nous fait assister au voyage extraordinaire d’une ingénue à travers les excentricités de la vie contemporaine. Persuadée que sa sœur, Lucie, est désespérée du départ de son fiancé. Mme Jeannine Lehugon s’est juré de ramener l’infidèle auprès de son aînée. Elle le disputera à l’ancienne maîtresse qui sûrement vient de le reconquérir. Et la voilà donc à Trouville, s’installant au milieu des personnes interlopes qui composent le meilleur de la société des villes d’eaux.

M. Tristan Bernard est, comme on sait, un très fin humoriste et un