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envieux, médiocres, et prêts à le trahir. Sur ces entrefaites, ces mêmes hommes firent voter, le 7 novembre 1789, un décret qui interdisait aux députés l’entrée au ministère ; Emilie conjectura aussitôt que ce décret visait uniquement Mirabeau ; elle déplora avec beaucoup de sens cet échec dans une de ses lettres à Mme du Saillant. Prenant alors prétexte de ce grave sujet d’entretien, Mirabeau se décida, en décembre, à rédiger le brouillon d’une lettre que Caroline adresserait à Emilie pour la conjurer de mettre enfin sa conduite d’accord avec les sentimens qu’elle laissait paraître. Nous ne reproduirons pas cette lettre tendre, insinuante et même pathétique, car M. de Bacourt a insérée au recueil de la correspondance de Mirabeau avec le comte de La Marck.

Emilie démêla sans peine que dans cette lettre Mme du Saillant n’était que le porte-voix de son frère ; elle évita de se confier à elle avec plus d’abandon. Son extrême réserve, que rien n’entamait, dépitait en Mirabeau le mari et le chef de maison ; mais elle faisait en même temps l’admiration de l’homme d’Etat. Il n’eût pas voulu auprès de lui d’une femme crédule » incontinente en paroles et peu secrète. Quelques semaines avant son élection à la présidence de l’Assemblée nationale, Mirabeau projeta de se rendre en Provence et d’y « faire miracles ; » il était décidé à y succomber dans quelque sanglante apothéose, ou à n’en revenir que l’homme de la nécessité, imposé par les circonstances au Roi, à l’Assemblée et à la nation ; il comptait ramener Emilie. Mais ses amis lui représentèrent au dernier moment que son absence ajouterait au désarroi général et compromettrait son élection à la présidence qui eut lieu le 30 janvier 1791. Presque aussitôt, la coalition des jacobins exigeait de lui un effort qui l’exténuait et précipitait sa fin. Il succombait dans la nuit du 26 au 27 mars. Il n’était plus lorsque Emilie apprit sa maladie. À ce moment, si elle avait mesuré sa responsabilité dans cette catastrophe, son fiel, comme Villon dit qu’il fait aux mourans, eût dû se crever sur son cœur.


V. — LA COMTESSE DELLA ROCCA

Aix n’avait reçu qu’en maugréant l’impulsion des tumultes révolutionnaires. La noblesse s’opiniâtra dans une inertie qui livra en peu de temps l’empire de la rue à la bourgeoisie constitutionnelle,