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Ce qui pouvait les surprendre encore plus, c’était la façon dont la pièce était écrite. La langue de Plaute, admirable en son genre, a surtout les qualités populaires, la vivacité dans les reparties, une bonne humeur entraînante, la largeur, l’abondance, le mouvement, la vie. On trouve dans celle de Térence quelque chose de plus aristocratique, une finesse, une élégance, une distinction, une bonne tenue, le ton délicat d’un homme du monde. Ces qualités ne paraissant pas naturelles chez un étranger, chez un ancien esclave, l’idée dut venir tout de suite aux ennemis du poète qu’il n’était pas l’auteur de ses pièces ; et, comme on le savait bien accueilli dans la société de Scipion, on supposa qu’il se faisait aider par ses nobles amis ou même qu’il leur prêtait son nom. La supposition parut si vraisemblable et trouva tant de créance que Térence crut devoir y faire deux fois allusion. Dans le prologue de l’Heautontimorumenos (l’homme qui se punit lui-même), il se contente, après avoir rappelé les bruits qui courent, de répondre « qu’on en pensera ce qu’on voudra, » ce qui n’est pas une réponse. Il est un peu plus long, mais pas beaucoup plus net, dans les Adelphes : « on croit, dit-il, lui faire une grave injure par ces suppositions ; au contraire, il se tient pour fort honoré de plaire à des gens qui plaisent au peuple romain tout entier. » Ce ton incertain, embarrassé, a frappé tous les critiques, si bien que beaucoup en ont conclu que les ennemis de Térence avaient raison et qu’il le confesse lui-même. Pour moi, je vois, dans ce qui leur semble un aveu, un démenti aussi formel qu’il pouvait le faire. Si l’accusation était fondée, le seul moyen qu’avait Térence de se tirer d’affaire était de ne rien dire ; que lui servait de relever un reproche qu’il ne pouvait pas réfuter ? S’il a parlé, c’est qu’il tenait à ne pas laisser un méchant bruit s’accréditer sans protester de quelque manière et qu’il entendait réclamer la propriété de ses pièces. Mais alors, pourquoi n’a-t-il pas parlé d’une manière plus claire et plus formelle ? Évidemment, il trouvait quelque inconvénient à le faire. Peut-être savait-il qu’il ne déplaisait pas à ces jeunes gens qu’on pût croire qu’ils étaient pour quelque chose dans l’œuvre de leur protégé ? On les eût blessés sans doute en contredisant cette opinion avec’ trop de force, et il leur eût paru désobligeant que l’auteur la regardât comme une injure. Il est possible aussi, ou plutôt il est très probable, que le poète lisait ses pièces à ses amis avant de les