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des Hommes comme interdit, non noble et sans fief ; il sut qu’elle l’approuvait de prendre appui sur le Tiers et de se déclarer l’homme de la Constitution, c’est-à-dire l’ennemi de l’arbitraire et des privilèges. Le comte de Galliffet s’était remarié. Si ce n’avait été la perspective de vivre avec Mirabeau « entre un fumier et un palais, » Emilie eût cédé aux conseils qu’elle recevait de tous côtés de lui rouvrir les bras.

Bientôt, Mirabeau eut lieu de croire que pour vaincre les hésitations d’Emilie et pour la soustraire aux conseils opposés de son entourage immédiat, il lui suffirait de frapper son imagination et de l’entraîner dans un mouvement de l’allégresse populaire. Il savait que sa réunion avec elle comblerait d’aise les vieux jours de l’Ami des Hommes. En octobre 1788, il avait promis à celui-ci que s’il obtenait, grâce à son intervention, une place aux Etats généraux, Emilie cesserait de lui demeurer étrangère. Aux premiers jours de mars 1789, il fit à Aix une rentrée triomphale. Un peuple unanime, accouru au-devant de lui, l’escortait et faisait retentir la contrée du son des cloches, de l’explosion des boîtes d’artifice, et de la clameur encore plus joyeuse et plus haute des vivats. On le proclamait Père de la Patrie. Aux portes d’Aix, plus de dix mille citoyens l’attendaient. On détela sa voiture, on le harangua, on le couronna ; soixante-dix communes lui présentèrent leurs remerciemens ; tambourins et galoubets, torches et fusées, portaient ce délire à son paroxysme. Jour et nuit sa maison restait entourée. Une députation que Marseille lui envoyait fut, à son arrivée, le 7 mars, arrêtée par une troupe de paysans qui la forcèrent à les suivre rue Mazarine, à l’hôtel Marignane. Ici, tous dirent qu’ils voulaient parler à Mme la comtesse de Mirabeau. Elle dut se montrer et écouter une harangue en provençal qu’ils lui débitèrent pour la supplier d’aller retrouver son mari : « C’est une trop belle race ; ce serait dommage qu’elle manquât. » On ne sait ce qu’elle répondit, mais elle demeura chez son père. Il n’est guère douteux cependant que cette démarche ne l’ait émue et flattée. Emilie écrivait plus souvent à sa belle-sœur Caroline ; elle lui commentait de son point de vue les événemens auxquels son mari avait part ; ses réflexions plaisaient beaucoup à Mirabeau. Emilie l’engageait surtout à prendre au plus tôt le ministère, quitte à démissionner avec fracas s’il rencontrait des difficultés excessives du côté de ses collaborateurs éventuels qu’elle jugeait très bien être