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on le tiendrait. » En effet, à l’audience du 7 mai, Portalis annonce qu’il a des « horreurs à dévoiler, » il outrage son adversaire, le flétrit, l’irrite ; si bien que, dans sa réplique du 23 mai, Mirabeau, foulant aux pieds tout ce qui l’a retenu jusqu’alors, produit l’aveu de l’adultère d’Emilie, sa lettre au mousquetaire Gassaud ; il incrimine l’indépendance de ses juges, à qui il a déjà fait l’injure de ne les pas visiter ; il se retourne enfin contre Portalis, qu’il terrasse, et qu’on entraine hors de la salle, pleurant de honte, d’effroi et de faiblesse.

Les Marignane épouvantés et divisés sollicitèrent une médiation. Mirabeau avait annoncé la production de lettres où Emilie incriminait la conduite et les mœurs de Mme de Croze, la maîtresse de son père. Entre ces deux femmes, la guerre s’envenima vite. M. de Marignane défendit sa maîtresse contre sa fille. Si son gendre lui avait remis les lettres en question, et si elles avaient eu le caractère qu’on lui disait, il aurait de son autorité enfermé Emilie au couvent ; mais pressé de les faire voir, Mirabeau dut demander un délai pour les obtenir de son père qui, sans doute, refusa de s’en dessaisir ; et la manœuvre échoua. De son côté, Emilie relevait la tête, niait avoir écrit rien de ce qu’on lui reprochait, accusait la pusillanimité des siens, et repoussait tout arrangement avec son mari. Cependant, elle accepta de transiger, le 16 juin au soir. A l’audience du lendemain, Mirabeau devait reprendre la parole. Ferdinand, frère de Marie-Antoinette, gouverneur de la Lombardie autrichienne, archiduc de Milan, et l’archiduchesse, voyageant en France sous les noms de comte et comtesse de Nellembourg, prenaient alors à Aix les eaux de Sextius. Ils occupaient avec leur suite, rue Mazarine, un hôtel contigu à l’hôtel Marignane. Ils firent savoir qu’ils viendraient entendre le stentor de la province. A l’idée que Mirabeau achèverait de la déshonorer devant ces augustes personnages, Emilie eut peur, ou on lui fit peur. La Reine aimait les Galliffet ; elle avait marié une cousine du sigisbée d’Emilie au duc de Fronsac, fils du maréchal de Richelieu, après des incidens assez romanesques ; elle eût été fort mécontente d’apprendre par les relations de l’archiduc Ferdinand qu’un membre de cette famille qu’elle favorisait jouait un rôle sans grandeur dans le retentissant procès du comte de Mirabeau. Emilie fit alors proposer à son mari une séparation amiable de dix années pendant lesquelles elle se retirerait au couvent qu’il