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témoignait la plus constante satisfaction de la conduite de son fils ; il insinuait que sa régénération entière ne dépendait plus que de l’influence d’une adroite et vertueuse femme, et qu’au reste, pour la mettre à l’abri et pour reconnaître ses peines, on songeait toujours à la faire dame d’honneur de quelque princesse ou dame du palais de la Reine. Mais Emilie faisait la sourde oreille. Bientôt elle s’arrangea pour éviter les entretiens de l’insidieux bailli, pour n’être du moins jamais seule à les écouter, pour se retrancher derrière la volonté inerte et négative de M. de Marignane. Mise au pied du mur, elle dit enfin et répéta qu’avant tout projet de réunion, il fallait que son mari fit quelque chose pour réparer, comme d’aller aux insurgens et d’y faire parler de lui. L’indignation qu’en ressentit le bailli fut à son comble chez l’Ami des Hommes, qui était d’humeur peu militaire, et dont c’était un des principes que l’aîné d’une maison se devait à son agrandissement, et que ses cadets seulement devaient pourvoir au salut de la patrie. Cette expédition d’Amérique ruinait les gentilshommes qui y prenaient part ; et les Mirabeau y figuraient avec assez de dépense et d’illustration dans la personne du chevalier Boniface. Envoyer le comte au feu des Anglais, aux fièvres, aux naufrages, autant avouer qu’on l’aimait mieux mort que vivant, même repenti. De fait, Emilie n’avait garde de pousser vers ces hasards glorieux son ami le comte de Galliffet, quoiqu’il fût colonel de dragons et qu’il n’eût jamais vu le feu ; elle ne préparait avec lui qu’une campagne de procureurs. Dès juillet 1782, tout ce qu’Aix comptait de juristes et d’avocats notables se trouvait à la dévotion des Marignane, pour concerter les moyens d’une séparation judiciaire. Emilie avait rassemblé toutes les lettres, tant de son mari que du marquis et du bailli, qui portaient preuve ou témoignage de l’indignité de Mirabeau ; et elle annonçait la résolution de les publier, s’il la traînait devant les tribunaux ; déjà ses collatéraux et M. de Galliffet en faisaient courir des extraits affreux sous le manteau. Le cuisinier de M. de Marignane, renommé comme le premier de Provence, faisait de son côté merveille ; la plupart des magistrats d’Aix appréciaient ses talens depuis longtemps. On allait donc voir ce que pouvait le crédit d’une maison fortunée, enracinée dans le pays, assurée d’une clientèle innombrable, contre un aventurier déconsidéré dans sa province par ses dettes, par ses folies et ses vices, par ses violences et ses impudences,