Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter que sur le rapt commis par Mirabeau sur Sophie ; et sa prétention à lui, Mirabeau, était que Sophie l’était venue joindre spontanément.

Tout à coup, le petit Victor éprouve des malaises étranges. On s’empresse d’en avertir le marquis et le bailli de Mirabeau, qui prennent tout de suite peur, le marquis surtout, en souvenir des avertissemens qu’il avait si souvent reçus de ne pas laisser son petit-fils, unique espoir de sa race, en un pays où ses espérances en barraient d’autres. Les médecins déclarèrent qu’il n’y avait point de danger. Sur leur assurance, le 8 octobre (1778), date anniversaire de la naissance de son Gogo qui accomplissait ainsi sa cinquième année, Emilie remonta sur les tréteaux du Tholonet, où il y avait fête et grande assemblée. Au milieu de la comédie, on vient lui dire que Victor est dans les convulsions, qu’il agonise, qu’il est mort. On l’emporte affolée ; M. de Marignane tombe accablé ; les Grasse du Bar et leur fille, « petit monstre de laideur et de perversité, » l’entourent ; la consternation est sur tous, hôtes et invités. On envoie au château de Mirabeau prévenir le bailli ; on écrit à l’Ami des Hommes. Alors, devant cette tombe creusée sous le théâtre de ses dissipations, Emilie se regarde elle-même, elle prend en horreur le décor fragile et menteur de son existence, elle cherche à lire sur le visage de ses collatéraux l’aveu qu’ils ont empoisonné son fils. Elle ne supporte plus leur vue ; elle craint pour sa propre existence ; elle déclare qu’elle veut fuir la Provence, retourner au Bignon dans la famille de son mari, qu’elle appelle maintenant « sa famille... » M. de Marignane, « pour faire diversion, » consent au départ de sa fille à qui l’Ami des Hommes rouvre toute grande sa porte. Le bailli qu’elle va voir la trouve impatiente de se mettre en route ; en rentrant au château de Mirabeau (le 2 novembre 1778), elle s’évanouit ; elle veut que le bailli l’emmène tout de suite chez son beau-père.

Comme elle fait ses préparatifs, des lettres de Paris annoncent que le comte de Valbelle y a succombé à l’apoplexie. Voilà M. de Marignane, qui commençait à se faire une raison, plus frappé par cette mort que par celle de son petit-fils... Spectacle qui apitoyait le bailli de Mirabeau et qui lui fit approuver la décision de sa nièce de demeurer auprès de son père, comme retranché de la vie depuis qu’il avait perdu son inséparable Valbelle. Par une lettre du 26 novembre, Emilie avisa Caroline du