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avait prise. Peut-être s’était-il encore une fois rapproché de Sophie ; peut-être s’était-il rendu à Paris, pour s’y jeter aux pieds du Roi et solliciter l’anéantissement de sa lettre de cachet ; peut-être la caravane l’allait-elle voir se jeter à l’improviste sur son chemin...

A Tournon, lieu de garnison du frère cadet de Mirabeau, la caravane le rencontra. Emilie s’entendait bien avec Boniface, qui avait de l’esprit, du plus familier, mais du plus gai ; et leurs goûts n’étaient pas sans s’accorder aussi : l’un et l’autre aimaient la vie grasse et facile, les causeries piquantes et même graveleuses, et tous les plaisirs de la société. M. de Marignane dit au chevalier : « Monsieur votre frère doit beaucoup ; je ne veux ni ne puis payer ses dettes... Monsieur votre père dit qu’il ne le peut pas... Que veut-il qu’on fasse pour lui, tant que ses affaires ne seront pas arrangées ? Qu’il passe dans le pays étranger, qu’il y prenne du service. Je pourrai négocier cela avec monsieur son père. » Ce n’étaient que des phrases. Arrivée à Aix, la caravane se divisa, M. de Valbelle allant à Tourves, Emilie et son père gagnant Marignane. La comtesse embrassa aussitôt les devoirs de maîtresse de maison qui vaquaient depuis la mort de sa grand’mère. Elle était libre désormais de fréquenter avec M. de Marignane cette riante et pompeuse cour d’amour de Tourves, objet des rêves de sa jeunesse contrariée ; mais il lui déplaisait à présent d’y paraître ; les misères de son mariage, l’échec de ses espérances, le visible contentement des personnes qui avaient désapprouvé jadis son coup de tête en faveur de Mirabeau, tout l’humiliait.

Le marquis de Mirabeau ne permettait que rarement à sa bru d’avoir auprès d’elle son fils, son Gogo, toujours en pension à Manosque, chez les Gassaud. De Provence, on lui mandait souvent par lettres anonymes ou autrement que la sécurité de cet enfant était menacée chez M. de Marignane, par la cupidité de ses collatéraux. Le propre sentiment d’Emilie sur ce point ne contredisait pas ces dénonciations : elle détestait franchement au moins l’une de ses tantes, Mme de Grasse du Bar ; elle la supposait capable du pire pour s’assurer l’héritage de son frère. Les alarmes du marquis de Mirabeau et celles du bailli se manifestaient d’ailleurs à tout propos et prenaient même prétexte de l’invraisemblable.

Une communication que le marquis de Mirabeau fit à sa