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présens aux regards les Brutus, les César, les Lycurgue, les Solon, les Épaminondas. Ce Coluccio Salutati qui, dès 1375, se posait à Florence en amant de la liberté ; ce Niccolò Niccoli, son émule, dont le thème ordinaire était une « exhortation à la virtù ; » ce Pogge même, Poggio Bracciolini, pour qui « louer la virtù valait autant que d’être virtuoso; » ce Giannozzo Manetti dont l’éloquence attendrissait les chefs de bande et leur faisait rendre les chevaux volés, avaient laissé des héritiers et peuplé l’Italie de leurs disciples. De toutes parts, l’antiquité sortait de terre : une race infiniment sensible, intelligente, entreprenante, hardie, artiste, la respirait par tous les pores, l’incorporait à son être moral et social, sans s’occuper au surplus des combinaisons plus ou moins étranges que pouvait produire en elle une pareille confusion d’élémens disparates ; et rien ne serait plus déconcertant que ce mélange d’habitudes chrétiennes et d’idées païennes chez les Olgiato et les Boscoli, si, précisément, dans cette résurrection de l’antiquité, dans ce renouveau de l’ancien monde, il ne s’était comme déposé au fond des âmes, par-dessus une couche de christianisme essentiel, une couche de paganisme superficiel et artificiel, qui revivait surtout par la beauté et dans la beauté des formes, et transfigurait, défigurait tout ; ou plutôt, qui n’était jamais complètement mort, et qui faisait, par exemple, que Dante lui-même appelait quelque part Dieu le père : sommo Giove.

Or, à Florence, au commencement de 1513, un jeune homme nommé Pietro Paolo Boscoli, notoire adversaire des Médicis, laissa tomber de sa poche un feuillet où étaient inscrits dix-huit ou vingt noms. On le ramassa, on le lut, on le porta aux Huit, qui, soupçonnant une conspiration, firent emprisonner aussitôt Boscoli et son confident Agostino Capponi, d’autres encore. Soumis à la question, ils ne firent point difficulté de reconnaître qu’ils avaient en effet conçu le dessein de rappeler la patrie à la liberté. Pietro Paolo ne se cacha pas d’être hanté par l’image de Brutus et d’avoir solennellement fait vœu de l’imiter, pourvu qu’il trouvât un Cassius : il l’avait rencontré en Agostino ; mais, de complot, il n’y en avait pas eu, ils n’avaient mis personne au courant de leur projet. Ils n’en furent pas moins décapités dans leur prison, le 28 février : Capponi, indifférent et comme dédaigneux ; Boscoli, intrépide aussi, mais agité de pensers divers. C’est cette agitation d’âme de Pietro Paolo mourant qui donne à