Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, pour l’honneur, il subdivise en deux espèces : contre les femmes, et contre la considération personnelle du citoyen. De là, autant de causes de conspiration, dont il donne une double suite d’exemples, rangés parallèlement : anciens et modernes. Parmi les modernes, ce s(mt, pour offense contre les biens, la conjuration des Pazzi, frustrés de la succession des Borromei ; pour offense contre les femmes, la conjuration de Giulio Belanti contre Pandolfo, tyran de Sienne. Et l’on conspire autant et plus pour trop de bienfaits que pour trop d’injures. Machiavel cite, à ce sujet, le complot de Jacopo d’Appiano contre Piero Gambacorti, seigneur de Pise, et le complot de Coppola contre Ferdinand d’Aragon. Tout le monde conspire, ou tout le monde est susceptible de conspirer, petits et grands, car il n’est personne de si misérable qu’il ne puisse tenter de s’évader de sa misère, personne de si désarmé qu’il n’ait un couteau. Le tyran aurait tort de faire fi de ce désespoir des petits, mais il aurait tort de compter sur la bienveillance des grands, de ceux qu’il a élevés et enrichis, fussent-ils ses familiers les plus proches. Plus près de lui, ils n’ont que plus d’occasions, et sans doute plus de tentations contre lui. La conspiration leur est plus facile et le succès en est plus probable. Si bien que, voyant le prince guetté par ses parens, par ses courtisans, par les grands et par les petits, détesté pour ses offenses et pour ses bienfaits, après lui avoir conseillé successivement de se faire craindre et de se faire aimer, Machiavel cherche encore, et ne trouve pas, le moyen de le garantir des conjurations qui le menacent : « Caresse les hommes, lui dit-il, ou assure-toi d’eux, et ne les contrains pas à l’extrémité de penser qu’il leur faut ou mourir ou tuer. » C’est bien cela : se faire aimer et se faire craindre à la fois. Mais comment le faire ? A la vérité, Machiavel lui-même ne sait plus. Ce qu’il sait et ce qu’il retient, c’est que Juvénal avait raison :


Ad generum Cereris sine cæde et vulnere pauci
Descendunt reges, et sicca morte tyranni


Oui, peu de tyrans, princes ou rois. Pas un sujet n’est si petit qu’il ne puisse conspirer, et pas un prince n’est si puissant qu’il soit à l’abri des conspirations. Elles ne respectent point même les trônes les plus vénérables. Que Fundsberg se vante de porter à l’arçon de sa selle un lacet d’or « pour étrangler le pape Clément, » ce n’est qu’une fanfaronnade de reître