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qui ne puisse avoir l’envie ou l’idée de lui en faire autant.

La défiance même fouette et surexcite la défiance : lequel des deux, du prince ou du sujet, préviendra l’autre ? L’excuse commode, et en apparence si plausible, qui a servi à couvrir tant de mauvais coups : « Mieux vaut le lui faire qu’il ne nous le fasse, » est en effet à double tranchant ; le sujet y recourt contre le prince, mais le prince aussi y recourt contre le sujet. Par un phénomène dont nos grands-pères ont vu la répétition en France, il y a cent treize ans, ainsi que la défiance, la terreur est double : et tel qui tue ne tue que par peur d’être tué. Il serait préférable d’aimer et de se faire aimer, comme Pétrarque en donne le conseil au tyran : « Tu dois être non le maître de tes sujets, mais leur père ; tu dois les aimer comme tes enfans, que dis-je ! comme toi-même. Tu dois aussi leur imposer de l’affection pour toi, non de la crainte, car la crainte engendre la haine. Tes armes, tes satellites, tes soudards, tu peux les tourner contre l’ennemi : contre tes sujets, tu ne peux rien avec une garde du corps ; ce n’est que par la bienveillance que tu peux les gagner. Sans doute, je ne parle que des citoyens qui désirent la conservation de l’État, car celui qui ne rêve que des changemens est un rebelle ; et un ennemi de la chose publique. » La réserve finale peut être logiquement nécessaire, mais elle est pratiquement inutile, parce qu’il n’y a pas, il ne saurait y avoir, dans un pareil Etat, qui n’est pas fait pour eux, qui n’est fait que pour le Prince, où ils sont eux-mêmes faits pour le Prince, « de citoyens qui désirent la conservation de l’Etat. » Il pourrait donc être préférable, mais il est impossible que le tyran se fasse aimer. En retour, il est impossible qu’il aime.

La littérature, comme l’histoire elle-même, en porte témoignage, et il serait inutile qu’il aimât. Entre le prince et le peuple, l’atmosphère n’est point d’amour réciproque. Dante est plus près du cœur du peuple, quand, blâmant « . ce qu’il y a de bas et d’inintelligent dans l’avidité et l’ambition des princes de nouvelle création, » il s’écrie : « Que disent leurs trompettes, leurs cors et leurs flûtes, sinon : A nous, bourreaux ! à nous, oiseaux de proie ! » Et Matteo Villani en juge sainement, quand il remarque : « De même que les tyrannies s’élèvent, grandissent et se consolident, de même grandit en silence dans leur sein le germe fatal d’où sortiront pour elles le trouble et la ruine. » Les nouvelles, certes, ne sont pas des documens de tous points irrécusables,