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et ses sermens, elle fut condamnée à mourir sous la hache. Mais, quand son empire se fut affermi, Filippo-Maria couvrit d’un voile de libéralité et de générosité ses anciens péchés.

Il fut le dernier des Visconti, et, parce qu’à lui vint aboutir toute une lignée de douze princes, dont chacun dut se résigner à être, — en dépit du nom qui leur était commun, — « un prince nouveau, « et où les types du tyran, — Bernabò, Giovanni-Maria, — ne manquèrent pas, la vie qu’il mène peut être retenue comme le type de la vie du tyran, même heureux : « Ce que la crainte peut faire d’un homme richement doué, qui se trouve dans une haute situation, se trouve, pour ainsi dire, mathématiquement complet chez lui : l’Etat n’a qu’un but, la sécurité du prince, et tous les moyens dont il dispose tendent à ce but unique ; seulement l’égoïsme féroce de ce souverain ne dégénéra pas en cruauté. Il habite le château de Milan, dans l’enceinte duquel on voyait les jardins, les allées et les manèges les plus magnifiques ; il n’en sort guère, et reste de longues années sans mettre le pied dans la ville ; ses excursions ont pour but les villes de la campagne, où s’élèvent ses superbes châteaux ; la flottille de barques, que traînent des chevaux rapides et qui le promène sur des canaux spécialement creusés à cet effet, est organisée en vue de toutes les exigences de l’étiquette. Toute personne qui venait au château était l’objet d’une surveillance minutieuse ; défense de stationner près d’une fenêtre, afin qu’on ne put correspondre par signes avec le dehors. Ceux qui devaient faire partie de l’entourage du prince étaient soumis à toute une série d’épreuves savamment calculées : quanti ils les avaient subies avec succès, il leur confiait les plus hautes fonctions diplomatiques ou en faisait des laquais, car l’un était aussi honorable que l’autre. Et c’est cet homme qui a soutenu des guerres longues et difficiles, et qui a traité constamment de grandes affaires politiques, c’est-à-dire qui a dû sans cesse envoyer dans toutes les directions des hommes munis des pouvoirs les plus étendus. Ce qui faisait sa sécurité, c’est que tous ces gens-là se défiaient les uns des autres ; c’est que les condottieri étaient surveillés par des espions ; c’est que les négociateurs et les hauts fonctionnaires ne savaient à quoi s’en tenir et ne pouvaient jamais s’entendre, parce que le prince semait habilement la division entre eux, et surtout parce qu’il avait soin d’accoupler chaque fois un honnête homme et un coquin. Même dans