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sort de prière que pour partir en pèlerinage ? Giangaleazzo annonce la pieuse intention de se rendre à une chapelle de la Vierge dans les montagnes : en bon oncle, Bernabò vient au-devant de lui, hors les portes ; mais ils ne se sont pas embrassés que le neveu a fait entourer l’oncle de gens sûrs, l’enchaîne et l’emmène, pour le jeter quelques jours après dans un cachot où il mourra misérablement, précédant de peu ses enfans, les cousins du nouveau maître, déchus et, comme le dit l’évêque de Nocera en son latin précieux et prétentieux : « magnis exilii et egestatis jactati fluctibus. »

Lorsqu’il meurt à son tour, sans qu’on sache clairement si c’est de fièvre ou de poison, Giangaleazzo laisse deux fils légitimes, Giovanni-Maria, qu’il fait duc de Milan, et Filippo, qui devient comte de Ticino, outre un bâtard, Gabriel, « né d’une concubine noble, » ; et qui, étant l’aîné des trois, ne cède la place que contre un dédommagement du côté de Pise. De même que son grand-oncle Bernabò, Giovanni-Maria a la manie des chiens : mais ceux-ci sont féroces, et leur « maître » Giramo ou Girolamo, par ordre du duc, les dresse à l’être. On leur livre en pâture des hommes, d’abord des criminels, et puis des innocens, qu’ils déchirent de leurs crocs, « à l’incroyable horreur et gémissement du peuple épouvanté. » Un beau jour, ce peuple se révolte contre le duc et ses molosses, et Giovanni-Maria est assassiné ; mais c’est, selon la classification de Machiavel, un complot de privati, de simples citoyens ; nous n’avons pas à insister ici, où nous ne cherchons qu’à déterminer la position du prince, du tyran, vis-à-vis de sa famille même.

Filippo-Maria, qui succéda à Giovanni son frère, eut un règne long (trente-cinq ans, 1412-1447) et relativement calme, dont toutes les difficultés, et toutes les cruautés, — suivant le précepte qui sera formulé plus tard, — se produisirent ou se commirent au début. Il montra plus que de l’ingratitude envers la veuve du fameux condottiere Facino Cane, Béatrix de Tende, dont il n’avait pas refusé la maturité, pour en épouser les trésors. Grâce à eux, grâce à elle, il avait pu reprendre Milan aux fils de Bernabò, Sacramoro et Carlo, qui s’en étaient emparés. La chose faite, il s’aperçut que sa femme avait des rides, et, afin de convoler avec une plus jeune, de naissance princière, une fille du duc de Savoie, il lui intenta, — aimable ironie ! — devant des juges à lui, un procès en adultère. Malgré ses dénégations