Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frère d’Alphonse Ier qui hérita de l’Aragon lui-même. Peut-être le grand Frédéric d’Urbin n’était-il pas un vrai Montefeltro. Lorsque Pie II se rendit au Congrès de Mantoue (1459), huit bâtards de la maison d’Este vinrent à sa rencontre, et parmi eux se trouvaient Borso, le duc régnant lui-même, et deux fils illégitimes de son frère et prédécesseur Leonello, également illégitime. Il y a plus : ce dernier avait eu une épouse légitime ; c’était une fille illégitime d’Alphonse Ier et d’une Africaine. Souvent aussi l’on reconnaissait des droits aux bâtards, notamment quand les fils légitimes étaient mineurs et que la vacance du trône créait de sérieux dangers ; on admettait une sorte de droit d’aînesse, sans examiner si la naissance du prince qui prenait la couronne était légitime ou non. »

Ce n’est qu’au XVIe siècle que le Florentin Benedetto Varchi dégagera le principe, que la succession des fils légitimes est « commandée par la raison et qu’elle a été, de toute éternité, conforme à la volonté du ciel ; » c’est alors seulement que le cardinal Hippolyte de Médicis songera à tirer son droit à régner du fait « qu’il était issu d’une union peut-être légitime, ou du moins qu’il était fils d’une femme noble, et non d’une servante (comme le duc Alexandre). » Jusque-là, fils légitimes et bâtards sont sur le même rang, courent la même chance, si bien que, légitime, je veux dire fils légitime, le prince doit continuellement se méfier des bâtards, et, bâtard, redouter continuellement les fils légitimes, sans négliger les autres bâtards. Et non seulement le frère doit se garder du frère ou du demi-frère, avoué ou caché, régulier ou aventureux ; mais le père doit se garder du fils, de ceux qui sont sa lignée officielle comme de ceux qui sont sa progéniture naturelle ; le mari, de sa femme, de ses maîtresses et de leurs amis ; l’oncle, du neveu et le neveu, de l’oncle : il n’y a pas plus d’ordre successoral assuré qu’il n’y en a chez les Turcs.

La tyrannie étant affaire de famille, le crime pour la tyrannie, lui aussi, est affaire de famille. Entre héritiers possibles, on s’arrange par le fer et par le poison. C’est encore Burckhardt qui le remarque : « Si du moins les princes avaient pu se fier à leurs plus proches parens ! Mais, dans des situations où tout était illégitime, il ne pouvait s’établir un sérieux droit d’hérédité, soit pour la succession au pouvoir, soit pour le partage des biens ; aussi, dans les momens de crise, un cousin ou un oncle