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la chair ou de l’esprit, aucun lien humain ou Jivin qui donne envers lui, contre lui, la moindre sûreté. Au dedans, le tyran est moins tranquille encore. S’il a ses armes propres, — le proprii arme, — s’il est à lui-même son propre capitaine, il est à la merci d’un plus fort que lui ; et s’il ne les a point, s’il se sert de bandes qu’il loue, il est à la merci du dernier de ses condottieri, qui se dit : Pourquoi celui-ci, et non pas moi ? Il est n’importe qui, venu de n’importe où, n’importe comment ; et, en revanche, n’importe qui, — un savetier de San Ginegio pour Ridolfo da Camerino, — peut se mettre en tête de torgli la terra, de lui enlever cet État, où il est un « déraciné » qu’une longue possession n’y enracine pas.

Rarement il a l’hérédité, cette perpétuité de la puissance ; presque jamais, il n’a la légitimité, qui la confirme, la conserve et la consacre. Ni légitimité politique : il a acquis l’Etat ou par la guerre ou par la trahison, ou par le dol ou par le vol, ou en don ou en dot, en détrônant l’ancien seigneur, ou en s’en faisant adopter, ou en « en épousant la fille. Ni légitimité de famille : fût-il prince, fils de prince, fils authentique de son père, et lui succédât-il, il n’en est pas toujours le fils légitime et ne lui succède pas toujours légitimement. De par les mœurs dissolues, de par la facilité sans règle et sans frein de ce temps, les bâtards pullulent : autant de cours, autant de nichées. Des vingt-sept Baglioni, qui, selon la légende, auraient été tués en une seule fois, il y avait certainement une bonne douzaine de bâtards ; et l’on se rappelle l’observation, un peu étonnée, de Comines, à propos des San Severino de Salerne : « Faut entendre que leur père, le seigneur Robert de Sainct Séverin, estoit de la maison de Sainct Séverin, sailly d’une fille bastarde ; mais ils ne font point grande différence au païs d’Italie d’un enfant bastard à un légitime. » Devenu prince, sa bâtardise lui sera peut-être une faiblesse : pour le devenir, elle ne lui est nullement un obstacle.

« A l’illégitimité politique des princes du XVe siècle, écrit Jacob Burckhardt, se rattachait l’indifférence à l’égard de la légitimité de la naissance, indifférence qui choquait tant les étrangers... L’une était en quelque sorte la conséquence naturelle de l’autre... Il n’y avait plus en Italie une seule maison princière qui n’eût eu et qui n’eût supporté bénévolement dans la ligne principale quelque descendance illégitime. Les Aragonais de Naples étaient la branche bâtarde de la maison, car ce fut le