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restait plus qu’à mourir. Elle ne put tirer de moi autre chose pendant quatre heures, et je m’en allai, la laissant, je crois, très ennuyée d’un amant qui disputait sur un synonyme. Je passai de la sorte trois ou quatre mois, devenant chaque jour plus amoureux, parce que je me butais, chaque jour, plus contre une difficulté que j’avais créée moi-même, et ramené d’ailleurs chez Mme Trevor, au moins autant par mon goût pour le jeu que par mon ridicule amour ; Mme Trevor se prêtait à la bizarrerie de mon manège avec une patience admirable. Elle répondait à toutes mes lettres, me recevait chez elle tête à tête et me gardait jusqu’à trois heures du matin. Mais elle n’y gagna rien ni moi non plus. J’étais d’une timidité excessive, et d’un emportement frénétique ; je ne savais pas encore qu’il fallait prendre au lieu de demander ; je demandais toujours et je ne prenais jamais. Mme Trevor dut me trouver un amant d’une singulière espèce. Mais comme les femmes aiment toujours tout ce qui prouve qu’elles sont propres à inspirer une grande passion, elle s’accommoda de mes manières et ne m’en reçut pas plus mal. Je devins jaloux d’un Anglais qui ne se souciait pas le moins du monde de Mme Trevor, je voulus le forcer à se battre avec moi. Il crut m’apaiser en me déclarant que, loin d’aller sur mes brisées, il ne trouvait pas même Mme Trevor agréable. Je voulus alors me battre avec lui parce qu’il ne rendait pas justice à la femme que j’aimais. Nos pistolets étaient déjà chargés lorsque mon Anglais, qui n’avait aucune envie d’un duel aussi ridicule, s’en tira fort adroitement. Il voulut des seconds et m’annonça qu’il leur dirait pourquoi je lui avais cherché querelle. J’eus beau lui représenter qu’il devait me garder un pareil secret, il se moqua de moi, et je dus renoncer à ma brillante entreprise pour ne pas compromettre la dame de mes pensées. L’hiver étant venu, mon père me dit de me préparer à le suivre à Paris. Mon désespoir fut sans bornes, Mme Trevor y parut très sensible. Je la pris souvent dans mes bras, j’arrosai ses mains de mes larmes, j’allai passer des nuits à pleurer sur un banc où je l’avais vue assise ; elle pleurait avec moi ; et si j’avais voulu ne plus disputer sur lus mots, j’aurais peut-être eu des succès plus complets. Mais tout se borna à un chaste baiser sur des lèvres tant soit peu fanées. Je partis enfin dans un état de douleur inexprimable, Mme Trevor me promit de m’écrire, et on m’emmena. Ma souffrance était tellement visible qu’encore deux jours après, an de mes cousins, qui voyageait avec nous, voulut proposer à mon