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s’harmonisent, parmi des couleurs exquises, les petites rues moussues, tortueuses et grimpantes, et les splendides basiliques palladiennes. Il a grandi et plus tard il a vécu et travaillé à l’ombre de la tour qui s’élève au cœur même de la cité et qui en porte l’âme vers les cieux, à l’ombre aussi de cette tour du Monte-Berico qui domine les âpres et verdoyantes campagnes de sa prière austère et sereine. Dans toute l’œuvre du Poète, elles s’élèvent, la tour de la cité et la tour de l’église ! car un commun amour les a unies dans son cœur et il n’a jamais pu séparer le culte de la patrie de la foi en sa religion. Mais alors l’âme de la Cité était en deuil ! L’étranger la tenait encore captive. Fogazzaro fut élevé dans un milieu pour lequel l’union à l’Italie était la souveraine préoccupation. Son père et ses amis conspiraient contre la domination autrichienne. Même son père prit par deux fois les armes et il souffrit l’exil pour l’amour de la patrie désirée ; quand la délivrance vint enfin réaliser leur rêve, il accepta, quoique catholique ardent, de siéger comme député du royaume italien à Florence d’abord, puis à Rome. À cette époque, Antonio n’avait encore rien publié. Après des études très classiques, mais durant lesquelles l’amour de la poésie et l’amour de la philosophie s’étaient très rapidement développés en lui, il avait fait sans goût ses études de droit, et son esprit errait à travers des lectures nombreuses et diverses, sans arriver à se fixer ni à se dominer. Il est d’ailleurs remarquable que, dans tous ses ouvrages, ses héros ont, entre la vingtième et la trentième année, une période de luttes, de doutes, d’angoisses, d’efforts stériles et divergens, de crise religieuse, d’action incertaine : c’est après trente ans seulement que s’orientent leur intelligence et leur volonté, et que produit leur action. Le fait est que Fogazzaro publia son premier ouvrage, Miranda, à trente-deux ans, en 1874.

Miranda est un poème. Plus qu’un livre, c’est une série d’impressions et de tableaux dans un cadre très simple. En effet, la trame en est élémentaire, et l’idée sans prétention à l’originalité. Toute la valeur en réside dans la vie profonde des sentimens ou des aperçus sobrement notés. Une toute jeune fille, qui habite dans la solitude d’une campagne, s’éprend d’un très jeune homme qui croit aussi l’aimer. Le jeune homme est poète. Il repart pour la ville, et l’image à laquelle jusqu’alors s’était attachée sa tendresse inoccupée s’efface bientôt dans le tourbillon