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gens, celui qui semblait promettre le plus était le fils d’un marchand de tabac, nommé John Wilde. Il avait sur tous ses amis une autorité presque absolue, bien que la plupart lui fussent très supérieurs par la naissance et par la fortune : ses connaissances étaient immenses, son ardeur d’étude infatigable, sa conversation brillante, son caractère excellent. Après être parvenu par son mérite à la place de professeur et avoir publié un livre qui avait commencé sa réputation d’une manière très avantageuse, il est devenu fou furieux et actuellement, s’il n’est pas mort, il est enchaîné dans un cachot sur la paille. Misérable espèce humaine, qu’est-ce que de nous et de nos espérances ! Je vécus environ dix-huit mois à Edimbourg, m’amusant beaucoup, m’occupant assez et ne faisant dire que du bien de moi. Le malheur voulut qu’un petit Italien qui me donnait des leçons de musique, me fît connaître une banque de pharaon que tenait son frère. Je jouai, je perdis, je fis des dettes à droite et à gauche, et tout mon séjour fut gâté. Le temps que mon père avait fixé pour mon départ étant arrivé, je partis en promettant à mes créanciers de les payer, mais en les laissant fort mécontens et ayant donné contre moi des impressions très défavorables ; je passai par Londres où je m’arrêtai fort inutilement trois semaines, et j’arrivais à Paris dans le mois de mars 1785. Mon père avait fait pour moi un arrangement qui m’aurait valu des agrémens de tout genre si j’avais su et voulu en profiter. Je devais loger chez M. Suard, qui réunissait chez lui beaucoup de gens de lettres, et qui avait promis de m’introduire dans la meilleure société de Paris. Mais mon appartement n’étant pas prêt, je débarquai dans un hôtel garni ; j’y fis connaissance avec un Anglais fort riche et fort libertin ; je voulus l’imiter dans ses folies, et je n’avais pas été un mois à Paris que j’avais des dettes par-dessus la tête. Il y avait bien un peu de la faute de mon père qui m’envoyait à dix-huit ans, sur ma bonne foi, dans un lieu où je ne pouvais manquer de faire fautes sur fautes. J’allai cependant à la fin loger chez M. Suard et ma conduite devint moins extravagante.

Mais les embarras dans lesquels je m’étais jeté en débutant eurent des suites qui influèrent sur tout mon séjour. Pour comble de malheur, mon père crut devoir me placer sous une surveillance quelconque, et s’adressa pour cet effet à un ministre protestant, chapelain de l’ambassadeur de Hollande. Celui-ci crut faire merveille en lui recommandant un nommé Baumier, qui s’était